JM Academy / Santé environnementale
Les cobénéfices environnementaux et sanitaires
Opter pour une alimentation et une mobilité plus saines et plus durables, privilégier le contact avec la nature, prescrire mieux et moins… Ces gestes sont à la fois bénéfiques pour la santé et pour l’environnement.
Les cobénéfices, qu’est-ce que c’est ? « Pour la Wonca (World Organization of Family Doctors), il s’agit des choix quotidiens et des changements clés que les personnes/patients peuvent faire dans leur propre vie qui conduisent simultanément à un bénéfice pour leur propre santé et pour celle de l’environnement », précise le Dr Sébastien Cleeren de la Cellule environnement de la SSMG (Société scientifique de médecine générale).
Pourquoi en parler aujourd’hui ? « En 460 av. J.-C., Hippocrate disait déjà : ''Pour approfondir la médecine, il faut considérer d’abord les saisons, connaître la qualité des eaux, des vents, étudier les divers états du sol et le genre de vie des habitants." En 2016, une étude de l’OMS a confirmé que la santé de l’homme dépend de celle de notre environnement puisqu’on voit que près de 24% des maladies et 23% des décès dans le monde seraient attribuables à des causes environnementales modifiables. L’environnement serait un facteur de risque dans plus de 80% des maladies.»
« Aujourd’hui », ajoute-t-il, « la plupart des décès liés à des facteurs environnementaux sont dus à des maladies non transmissibles (MNT). C’est nouveau parce qu’il y a quelques décennies, les maladies qui faisaient le plus de morts étaient les maladies infectieuses. L’immense majorité des décès liés à l’environnement sont dus aux maladies cardiovasculaires, suivies par les traumatismes non intentionnels, les cancers et les infections respiratoires chroniques. »
Sonnette d’alarme
Le même rapport de l’OMS précise encore que les maladies non transmissibles sont responsables de près de 74% des décès dans le monde : « L’épidémie de MNT a des effets catastrophiques sur la santé des individus, des familles et des communautés, elle menace de saturer les systèmes de santé. Les coûts socio-économiques associés aux MNT font de la prévention de ces maladies et de la lutte contre celles-ci un impératif majeur de développement pour le 21e siècle. »
« Hippocrate nous avait déjà mis en garde », rappelle le Dr Cleeren. « Aujourd’hui, c’est toute la communauté internationale scientifique qui tire la sonnette d’alarme : nous ne pouvons pas être en bonne santé sur une planète dégradée. » Par exemple, dès 2021, le Lancet Countdown sur la santé et le changement climatique parlait de « code rouge pour la santé future ». Et en 2022, les Nations unies ont décrété un droit à un environnement propre, sain et durable; quant à l’OMS, elle a fait sienne le slogan « Environnement aujourd’hui. Santé de demain ».
« Le carbone n’est pas le seul souci, le problème est systémique et nécessite une réponse qui l’est aussi », insiste Sébastien Cleeren. « Le concept des neuf limites planétaires énumère ce qui pourrait nous poser problème : les nouvelles entités (perturbateurs endocriniens, plastiques, nanoparticules…), le changement climatique, l’intégrité de la biosphère, les changements dans l’utilisation des sols et dans le cycle de l’eau, les cycles biochimiques (eutrophisation des sols, engrais, percolation…), l’acidification des océans, la charge atmosphérique en aérosols et la déplétion de la couche d’ozone. Toutes ces limites planétaires sont interconnectées et sept sur les neuf sont déjà dépassées. Notre modèle économique, y compris nos services de santé, centrés sur une productivité de rendement à court terme, est incompatible avec une vision durable des écosystèmes et de notre société. Il est donc très important de nous remettre en cause et d’essayer d’adopter une nouvelle approche. »
Que faire en médecine générale?
En 2019, l’Alliance santé planétaire et la Wonca ont édité des recommandations aux médecins généralistes.
La première est de se former à la santé planétaire, définie comme 'une nouvelle approche pour répondre à des enjeux nouveaux, un domaine médical fondé sur les preuves, centré sur la caractérisation des liens entre les modifications des écosystèmes dues aux activités humaines et leurs conséquences sur la santé. Son objectif est de développer et d’évaluer des solutions pour contribuer à un monde équitable, durable et sain.'
La deuxième est d’informer les patients sur l’importance des cobénéfices santé et environnement et sur le fait que leur santé dépend de l’environnement à la fois à l’échelle locale et mondiale.
Les trois premiers leviers sur lesquels agir sont l’alimentation, la mobilité et le contact avec la nature.
Alimentation
À la question de savoir comment nourrir 10 milliards d’êtres humains d’ici 2050 en respectant les limites planétaires, The EAT-Lancet Commission on healthy, sustainable, and just food systems donne plusieurs pistes : stimuler une alimentation durable et saine, principalement composée de légumes, fruits, grains entiers, légumineuses, noix et graines, graisses insaturées, et diminuer les produits d’origine animale et ultra transformés, diminuer drastiquement le gaspillage alimentaire et enfin, améliorer les techniques agricoles (limiter le recours aux produits phytosanitaires, privilégier les produits locaux, de saison, peu transformés, et limiter la consommation d’énergie et les émissions GES).
« L’alimentation, c’est le levier le plus puissant pour optimiser la santé humaine et la durabilité sur Terre », confirme Sébastien Cleeren.
Mobilité
« Cela fait longtemps qu’en tant que professionnel de la santé, nous savons que faire du vélo, marcher, etc. sont meilleurs pour la santé. Si on décide d’avoir une mobilité plus active, c’est aussi bénéfique pour l’environnement parce qu’il y aura moins de GES, de bruits, de pollution atmosphérique et moins de fragmentation des habitats naturels. Plus d’activité physique, c’est aussi moins de stress, plus de contacts sociaux, moins d’obésité, de diabète, d’HTA… Le simple fait de faire du vélo pour aller travailler réduit la mortalité de 28% ! », fait-il observer.
"Plutôt que de parler tout de suite de carbone aux patients, il faut d’abord préciser que les recommandations émises auront un effet bénéfique sur leur santé, et ensuite rajouter que c’est également bon pour l’environnement."
Nature
Toutes les activités en lien avec la nature amènent à préserver les espaces naturels/verts, favorisent une attention accrue à la biodiversité, une autre relation à la nature, plus d’activité physique, moins de stress, plus de contacts sociaux, plus d’exposition au soleil, plus de contacts avec la biodiversité microbienne et plus de consommation de produits non transformés, de fruits et légumes.
Ainsi, dans de nombreux pays, les médecins prescrivent des activités dans la nature (www.prescri-nature.ca et prescriptiondenature.fr, par exemple). En Belgique, Soins verts / Groene zorg propose par exemple de soigner le burn out par l’activité agricole.
La Revue médicale suisse a résumé les cobénéfices dans des fiches patients (qualité de l'alimentation, manger moins de viande, contact avec la nature, mobilité active…). Le British Medical Journal (30 mars 2016) a aussi résumé en un graphiques les cobénéfices santé-climat, montrant que tout est interconnecté.
Pour le Dr Cleeren, ces différents outils donnent des clés pour aborder cette thématique avec les patients : « Plutôt que de leur parler tout de suite de carbone, il faut d’abord évoquer les bénéfices pour leur santé, et ensuite ajouter que c’est également bon pour l’environnement. »
Écoprescription
Enfin, pour aller plus loin, on peut s’intéresser à l’impact environnemental des médicaments. « C’est le premier poste d’émission des GES du secteur de la santé, mais c’est aussi une source de contamination des nappes phréatiques. En 2018, la Société wallonne des eaux a étudié les substances émergentes dans les eaux (programme Imhotep, Inventaire des matières hormonales et organiques en traces dans les eaux patrimoniales et potabilisables). Sur les 44 résidus médicamenteux recherchés, 17 ont été retrouvés dans les eaux destinées à la consommation. La Belgique n’a pas encore de Plan national de réduction des résidus médicamenteux dans l’eau. Et on n’a aucune idée de la quantité et des différents résidus médicamenteux, ni de leurs effets chroniques potentiels. Les éléments dont on dispose indique un risque émergent qui nécessite de définir une stratégie sur le moyen terme », insiste Sébastien Cleeren.
Ainsi, l’écoprescription est également un cobénéfice santé et environnement. « Prescrire de façon plus responsable et durable entraîne moins d’iatrogénie et moins d’antibiorésistance, renforce la prévention, permet de lutter contre les inégalités, de diminuer les dépenses en soins de santé, améliore l’accès aux soins et renforce l’autonomie en santé des patients. Au niveau environnemental, cela produit moins de GES et de pollution, moins d’effet sur la biodiversité et améliore la santé publique. »
Comment passer à l’action? « Le Collège de médecine générale en France a édité un guide de la prescription écoresponsable qui étudie trois questions: comment prescrire autrement, moins et mieux? Le message principal est qu’une prescription écoresponsable c’est avant tout une prescription simplement rationnelle. »
Note
Exposé donné lors des 58e Journées de l’AMUB
Objectifs d'apprentissage
La lecture de cet article vous aura familiarisé(e) avec :
- La définition des cobénéfices environnementaux et sanitaires.
- Le pourcentage de maladies et de décès liés à des causes environnementales.
- Les maladies non transmissibles en tant que cause principale de décès liés à des facteurs environnementaux.
- Le concept des neuf limites planétaires.
- L’intérêt d’une formation à la santé planétaire pour le médecin généraliste.
- Le rôle du généraliste en tant qu’informateur des patients sur la santé planétaire.
- Les mesures à prendre en termes d’alimentation, de mobilité, de contact avec la nature et d’écoprescription pour protéger à la fois la santé humaine et la planète.
JM Academy
Cliquez ici pour répondre au questionnaire et obtenir un point d'accréditation.