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Alimentation sous influences

Manger sainement n’est pas simple. Diverses contraintes, dont nombre d’allégations erronées, influent sur nos comportements alimentaires.

Alimentation
© Getty Images

NUTRITION - Un vendredi par mois, le Dr Luc Stevens, médecin du sport ayant encadré de nombreux athlètes de haut niveau et médecin nutritionniste, intervient à la radio dans l’émission Tendances Première pour y dispenser des informations et des conseils en matière de nutrition. De nombreux thèmes sont abordés. Par exemple, faut-il manger sucré ou protéiné le matin ? Ou quels sont les liens entre alimentation et cancers ? Ou encore quels sont les piliers d’une alimentation antioxydante ?

À ses yeux, bien s’alimenter n’est pas chose aisée, car diverses contraintes influent sur nos comportements  alimentaires. D’une part, des déterminants culturels conditionnent le type d’aliments et les modes de cuisson que nous privilégions. Ainsi, chez nous, le régime méditerranéen ne fait généralement pas partie de notre quotidien malgré les vertus qui lui sont attribuées. D’autre part, comme le soulignent des travaux de psychologie, dont ceux du Pr Olivier Corneille (UCLouvain), les influences sociales et environnementales qui orientent nos comportements alimentaires nous confinent dans un univers de rationalité limitée. À ce niveau, un rôle majeur revient à la publicité qui, dans bien des cas, prône en quelque sorte une inversion de la « pyramide alimentaire », représentation visuelle destinée à aider le public à saisir comment construire des repas équilibrés. Aux États-Unis, une étude a montré que 98 % des pubs télévisées relatives à l’alimentation vantaient les mérites de produits à forte teneur en sucre, en graisse ou en sel. Même si les États-Unis cultivent le paroxysme de la malbouffe, la valorisation de la consommation d’aliments discutables est une réalité qui nous concerne également. Notre rationalité est également affectée par divers autres éléments que la publicité. Par exemple, les « halos alimentaires », c’est-à-dire les représentations qui nous habitent à propos de la nourriture. Ainsi, un sandwich au saucisson renfermant des feuilles de salade sera habituellement jugé moins calorique que le même sandwich dépourvu de tout légume. En outre, selon le Pr Corneille, les coûts cognitifs et émotionnels générés par une gestion appropriée de l’alimentation se révèlent trop importants pour beaucoup d’entre nous et nous poussent à la négligence.

Assertions abusives

 Le Dr Stevens insiste sur un autre point : les horaires de travail de certaines personnes font en sorte qu’il leur est impossible de manger quand elles voudraient et comme elles voudraient. Par ailleurs, si se demander quelle est la voie à suivre pour bien s’alimenter est une question fondamentale, la plupart des individus omettent de se la poser et, s’ils s’y résolvent, c’est en général en se limitant à recueillir des informations parcellaires – tel aliment est bon pour la santé, tel autre est mauvais... « Circulent de fausses idées. La seule vérité est celle de la pyramide alimentaire », dit le praticien. Et d’ajouter : « Il faut que les conseils de nutrition soient relativement simples – notamment, il n’est pas nécessaire de commencer à peser ses aliments. Ils doivent également prendre en compte la notion de plaisir. Quand on mange un aliment que l’on aime, on produit entre autres de la sérotonine qui nous procure une sensation de bien-être. »

Très prisés, les aliments à saveur sucrée sont fortement décriés pour leur possible nocivité. Voilà qui, selon notre interlocuteur, manque assurément de nuance. On souligne les points négatifs des glucides en occultant leurs points positifs. « La consommation de sucre est pourtant une source énergétique indispensable au bon fonctionnement de l’organisme, en particulier aux niveaux musculaire et cérébral », fait remarquer le Dr Stevens. « Les glucides doivent constituer quelque 55 % de notre apport calorique. » Le même raisonnement vaut pour les graisses et pour les protéines animales, vouées aux gémonies bien que nécessaires. Il ne convient donc pas de rayer de la carte certains nutriments, mais de ne pas les consommer en excès. Aussi Luc Stevens considère-t-il que face à des allégations nutritionnelles sans nuance véhiculées comme des images flashes, les gens ne savent pas comment se comporter.

Toutes les questions que l’on peut se poser à propos d’une alimentation saine doivent être replacées dans le cadre de la pyramide alimentaire.

Pour étayer son raisonnement, le médecin sportif et nutritionniste reprend le cas du sucre. Une fausse idée est que les sucres simples, dont tous les sucres raffinés, doivent être bannis. « Cette diabolisation est une ineptie », affirme-t-il. « Car si l’on mange du pain complet, par exemple, les glucides complexes qu’il renferme sont coupés au niveau intestinal pour être absorbés en molécules simples. En soi, les sucres simples ne sont pas délétères, mais c’est leur consommation abusive qui s’avère nuisible. L’intérêt des sucres complexes est qu’ils sont associés à d’autres nutriments, dont des fibres alimentaires, ce qui ne les empêchent pas d’être transformés et absorbés en tant que sucres simples comme le glucose et le fructose. »

Affiner la lecture

Autrement dit, les conseils préconisant le rejet quasi absolu des pâtisseries ou des sodas, par exemple, ne sont justifiés que si la quantité globale de sucres ingurgités au cours d’une journée est trop abondante. « Les fruits sont bons pour la santé », proclame-t-on à l’envi. Effectivement, dans la mesure où ils sont riches en polyphénols, en fibres alimentaires, en fructose… « Mais ici encore, la formulation manque de nuance. Si vous en mangez de très grandes quantités, vous absorbez trop de glucides. » Le cas des lipides est similaire : les décrier en bloc n’a pas de sens. « Il ne faut pas manger trop gras, mais manger ‘mieux gras’ ! » explique le Dr Stevens. « Le public doit savoir que le cholestérol a son utilité, que notre organisme en a besoin en quantité raisonnable, ou encore que les oméga-3 (poissons gras, noix, huile de colza...) et les oméga-6 (huiles végétales, noix, viandes et œufs...) sont des acides gras insaturés utiles à la prévention des maladies cardiovasculaires et d’autres affections pour autant qu’ils soient dans un rapport compris entre 4 et 1 en faveur des oméga-3, dont on privilégiera donc la consommation. » Bref, des allégations péremptoires isolées d’un contexte plus global sont ininterprétables pour la grande majorité des individus et, partant, inexploitables.

Luc Stevens estime que toutes les questions que l’on peut se poser à propos d’une alimentation saine doivent être replacées dans le cadre de la pyramide alimentaire et, partant, que toute allégation ou tout conseil de nutrition qui dérogerait aux principes de celle-ci est infondé. Ainsi, affirmer que manger des produits laitiers est mauvais pour la santé est une assertion sans valeur étant donné que la pyramide alimentaire nous invite à en consommer trois par jour eu égard à leur apport en calcium et en protéines. « Mais, bien sûr, il faut affiner la lecture », dit notre interlocuteur. « Contrairement aux yaourts, notamment, les fromages à pâte dure sont riches en graisses saturées et apportent trop d’oméga-6. Donc, mangeons des produits laitiers, c’est recommandé, mais privilégions ceux qui renferment moins de graisses saturées et d’oméga-6. »

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Écrit par Philippe Lambert19 mai 2025

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