JM Academy / Santé environnementale
Le cabinet écoresponsable en pratique
En intégrant des pratiques durables, le cabinet de santé écoresponsable allie soins de qualité et préservation de la planète. Une opportunité de (re)découvrir à quel point la santé individuelle et collective est intimement liée à l’état de l’environnement.
L’écoresponsabilité en santé ne se limite pas au tri des déchets. « Ça va plus loin, c’est la clé de la santé durable et de la promotion de la santé planétaire. Il est très important de la reconnaître comme une démarche santé intégrée. En tant que professionnel de santé, en adoptant une approche positive de la santé par ses déterminants, on comprend qu’il est nécessaire d’intégrer cette thématique, développer cette valeur », insiste d’emblée la Dre Alice Baras, formatrice auprès des professionnels de santé aux enjeux et actions en santé-environnement.
Rôles des soignants
Dans quelle mesure les professionnels de santé participent-ils à l’empreinte écologique humaine, au dérèglement climatique ? Et quelles sont les conséquences sur la santé de la population ?
À ces questions, la spécialiste répond qu’il n’y a pas de santé dans un environnement dégradé, et rappelle qu’en 1999 déjà, l’OMS proclame que « l’environnement est la clé d’une meilleure santé. »
« Aujourd’hui, on est dans un contexte de dépassement des limites planétaires et de catastrophe écologique. Ces changements environnementaux ont des conséquences sur la santé humaine. On s’installe dans un cercle vicieux d’augmentation des risques en santé et de la demande de soins et donc d’augmentation de la consommation des ressources, des flux et des matières dans les établissements de santé et en médecine générale. Alors que l’on participe déjà significativement à la pression exercée sur les écosystèmes et à cette dégradation environnementale. »
Comment sortir de ce cercle vicieux ? Grâce à une vision globale des risques et des enjeux, et des actions individuelles et collectives qui s’inscrivent dans une approche intégrée de la santé, telles que le concept One Health ou la démarche de santé planétaire. « La démarche écoresponsable va nous permettre de nous organiser », explique-t-elle. « Les mesures d’adaptation seront nécessaires pour prendre soin des ‘nouveaux’ risques en santé, des nouveaux patients et des nouvelles pathologies, et les mesures d’atténuation permettront de diminuer les impacts environnementaux des services de santé. Les soignants ont également un double rôle à jouer en tant qu’acteurs et ambassadeurs de ces démarches. »
Comment passer à l’action?
« Il faut repérer les pistes d’action et puis les leviers pour éviter de s’épuiser », conseille Alice Baras. « Le premier levier est la formation. Et il faut pouvoir s’appuyer sur des données probantes (outils, recherche interdisciplinaire…) et sur l’engagement des parties prenantes. »
En 2019, un rapport de Health Care Without Harm (HCWH) a montré que l’empreinte carbone du secteur de la santé représente près de 4% des émissions nettes mondiales. L’étude française du Shift Project évalue que la moitié est due à l’achat des produits de santé. « Une fois qu’on a compris ça, on voit par où commencer. Ensuite, il y a l’impact des produits d’entretien et de santé sur le milieu, notamment sur l’eau. Un rapport de l’Académie nationale de pharmacie publié en 2019 a montré que 70 à 90% des médicaments ingérés ou administrés aux patients et dans le secteur vétérinaire étaient rejetés dans les eaux usées, dont 10% présentent un risque pour l’environnement. Ces études et données sont précieuses, elles permettent d’arbitrer nos actions et de gagner en efficacité. »
Cabinet de consultation
L’écoconception des soins consiste d’abord à évaluer les impacts, puis à définir des objectifs adaptés selon son propre contexte.
« Au niveau du cabinet », précise Alice Baras, « il faut observer les flux entrants et sortants : tout ce qui entre et sort a un impact écologique. Le premier poste concerne la consommation d’énergie et d’eau par les activités de chauffage, d’éclairage, de production d’eau chaude, le transport des personnes (patients, professionnels de santé et prestataires de services) et puis les activités numériques. Deuxième poste où cibler des actions, la démarche d’achats responsables de biens (fournitures, consommables, matériel, équipement et produits de santé…) et de services. Le troisième poste vise tout ce qui sort : la gestion des déchets solides et liquides, la réduction de la pollution des eaux usées, des émissions dans l’air, de la pollution physico-chimique. »
Après cette analyse, il s’agit de définir des objectifs adaptés, en respectant les recommandations professionnelles et motivés par une approche en cobénéfices. Les mesures engagées entrainent le plus souvent des bénéfices sanitaires, sociaux et économiques. Par exemple : « Intégrer une démarche d’achats responsables et de limitation du gaspillage préserve les ressources, et les économies de la structure. » La démarche est aussi bénéfique pour la santé du soignant, sa qualité de vie au travail, elle développe ses motivations intrinsèques.
Par où débuter ? : « Il faut trouver par quoi vous avez envie de commencer, et ensuite fixer des objectifs atteignables. Par exemple, j’aimerais réduire ma consommation d’électricité de 20%, ou prescrire de façon écoresponsable (donner des conseils pour une alimentation plus saine à deux ou trois patients par jour)… Bien sûr, on ne transforme pas tout du jour au lendemain, et on ne va pas arriver à un cabinet zéro impact non plus », met-elle en garde.
"Le drap des tables incarne un rituel pour montrer aux patients qu’on est soucieux du risque infectieux, mais dans certains cas, selon l’acte, on peut simplement nettoyer la table sans la désinfecter."
Guide du cabinet écoresponsable
Alice Baras a rassemblé tous ces conseils dans son « Guide du cabinet de santé écoresponsable », aux Presses de l'EHESP. « On y trouve notamment des grilles d’auto-évaluation pour définir sa feuille de route et progresser. Il n’y a pas de recette miracle ou universelle. »
« Sur le premier poste, la consommation d’énergie, la première chose à faire est de consommer moins : qu’est-ce que je peux mettre en place dans ma structure pour consommer moins en terme d’isolation, d’aménagement, de conception bioclimatique… ? Par exemple, en déplaçant simplement son bureau près de la fenêtre pour profiter de la lumière naturelle. » Sans oublier les écogestes (baisser le chauffage de 1°, multiprises à interrupteur…), les équipements les moins énergivores… et enfin, les énergies renouvelables (prestataire labellisé énergie verte…).
Le deuxième poste concerne les transports, les alternatives au « transport carboné individuel ». « On peut passer à une voiture électrique, mais surtout voir comment sortir de « l’autosolisme » via le covoiturage, les transports en commun, le vélo, la marche, toujours selon le contexte de la structure. »
Concernant la démarche d’achats responsables, « il ne s’agit pas de faire le plein de ‘produits verts’, mais plutôt d’acheter moins, de mener une réflexion sur l’utile et le futile, sur l’usage unique », indique-t-elle. « Par exemple, le drap des tables d’examen est-il utile ? Pas forcément, c’est plutôt une question de confort. C’est aussi un rituel pour montrer aux patients qu’on est dans une démarche de gestion du risque infectieux. Mais le risque est surtout à considérer pour les actes invasifs ou les périodes d’épidémie. Selon l’acte, on peut simplement nettoyer la table sans avoir à la désinfecter. La classification de Spaulding permet de savoir quel instrument doit être désinfecté, stérilisé ou juste nettoyé. »
Alice Baras attire ici l’attention sur la notion de cycle de vie des produits : « Par rapport à l’usage unique, les produits réutilisables ont souvent un impact écologique plus important au moment de leur fabrication, auquel il faut aussi intégrer l’entretien ou la désinfection. Mais le plus souvent, le réutilisable est la bonne option écologique et économique, à condition de l’utiliser un grand nombre de fois. » Autre bénéfice : une démarche d’achats responsables réduit automatiquement le volume de déchets.
Écoprescription
La piste d’action à développer prioritairement est celle de l’écoprescription, et de la prévention et la promotion de la santé. La Dre Baras invite ainsi à changer de paradigme : « Il faut favoriser le passage à des habitudes de vie plus favorables pour la santé et pour l’environnement, qu’il s’agisse de l’activité physique, de l’alimentation ou du contact avec la nature. Chaque fois que c’est adapté, prescrire autrement, en faisant notamment appel aux thérapeutiques non médicamenteuses. »
Être inspirant
Pour mettre tout ça en musique, il s’agit de communiquer autour de cette démarche écoresponsable et des cobénéfices.
« On peut par exemple se servir de la salle d’attente comme outil pédagogique pour partager les messages qui vous tiennent à cœur et sur lesquels vous avez été formés pour ouvrir le dialogue », conseille-t-elle. « Afficher la charte du cabinet, vos engagements, vos valeurs en tant que professionnel de santé en lien avec la santé environnementale. Développer vos propres outils de communication, par exemple sur l’écoprescription, pour expliquer que si vous ne prescrivez pas systématiquement un médicament, ce n’est pas parce que vous n’êtes pas un bon médecin, mais c’est parce que vous avez envie de prendre soin des patients de manière globale. »
« Ne sous-estimez pas l’intérêt du nudge : le coup de pouce mental. On parle souvent de l’identification sociale : si je vois mon médecin arriver en vélo à son cabinet de consultations, ça donne envie, c’est contagieux. Ne doutez pas de votre pouvoir d’agir, de votre exemplarité. On a confiance en vous, soyez-en fier. Soyons exemplaire, pas parfait mais exemplaire, et ce sera bien ! », conclut-elle.
Notes
Exposé donné lors des 58e Journées de l’AMUB
Objectifs d'apprentissage
La lecture de cet article vous aura familiarisé(e) avec :
- Les objectifs et la signification plus large de l’écoresponsabilité en santé.
- Le cercle vicieux entre l’impact du changement climatique sur la santé et la demande accrue de soins médicaux, qui ont eux-mêmes un impact sur le climat.
- Des données chiffrées quant à l’impact des soins de santé sur l’environnement.
- Les trois postes sur lesquels on peut intervenir pour une pratique médicale plus écoresponsable.
- Des exemples pratiques de mesures pouvant être prises.
- Le concept de l’écoprescription.
- Le rôle éducatif et la mission d’exemplarité du médecin en matière d’écoresponsabilité.
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