Le cancer de l'endomètre en 2025
ONCOLOGIE GYNÉCOLOGIQUE Alors que le cancer du col de l’utérus suscite beaucoup d’attention, celui du corps de l'utérus reste largement dans l’ombre. Pourtant, après le cancer du sein, le cancer de l’endomètre est la tumeur gynécologique la plus fréquente. Un diagnostic précoce reste déterminant pour le pronostic, même si l’immunothérapie ouvre aujourd’hui de nouvelles perspectives, y compris dans les formes métastatiques.
Le Pr Toon Van Gorp, oncologue gynécologique à l’UZ Leuven, partage ses réflexions sur les données récentes, l’importance du diagnostic précoce du cancer de l'endomètre et les traitements prometteurs actuellement disponibles.
Le journal du Médecin : Pourquoi cette pathologie maligne est-elle si peu mise en lumière ?
Pr Van Gorp : Le cancer du col de l’utérus, avec son programme national de dépistage et la vaccination contre le HPV, constitue une tout autre histoire que le cancer de l'endomètre. Dans le premier cas, il s’agit de femmes jeunes, pour lesquelles une prévention efficace est possible. Le dépistage du cancer de l'endomètre, en revanche, n’est pas vraiment réalisable ou pertinent. Cette forme de cancer touche principalement une population plus âgée [1]. Malheureusement, cela explique en partie le manque d’attention qui lui est accordé. C’est pourtant paradoxal car notre population vieillit. Par ailleurs, il existe un lien entre le cancer de l'endomètre et le surpoids (ou l’obésité), encore un facteur de risque qui ne cesse d’augmenter. Il est donc grand temps de sensibiliser davantage.
Qu’en est-il de l’incidence ?
Chaque année, environ 1.300 femmes reçoivent un diagnostic de cancer de l'endomètre. À titre de comparaison, le cancer du col de l’utérus touche environ 750 femmes par an - un chiffre qui continuera probablement de diminuer dans les prochaines années. Pour le cancer du sein, on dénombre plus de 10.000 patientes par an en Belgique. Ce qui est frappant dans notre pays, c’est que l’incidence du cancer de l'endomètre reste stable depuis près de 15 ans [2]. Dans d’autres pays européens, le nombre de diagnostics augmente chaque année, en lien avec la hausse de l’obésité. En Belgique aussi, le poids moyen de la population ne cesse d’augmenter, mais les chiffres de ce cancer ne suivent pas cette tendance. À ce jour, aucune explication ne permet d’éclairer ce constat.
« Tout saignement post-ménopausique est suspect, jusqu’à preuve du contraire. »
Comment expliquer le lien entre obésité et cancer de l'endomètre ?
Les œstrogènes jouent un rôle dans le développement de ce cancer dans 80 % des cas. Après la ménopause, les ovaires cessent de produire des œstrogènes. Cependant, chez les femmes en surpoids, le tissu adipeux continue d’en synthétiser grâce à l’enzyme aromatase qui convertit les androgènes en œstradiol. Il en résulte une dominance œstrogénique car l’effet protecteur de la progestérone disparaît. Le taux élevé d’œstrogènes stimule alors la muqueuse utérine et favorise la prolifération cellulaire incontrôlée. On a d’ailleurs observé une véritable épidémie de cancers de l'endomètre aux États-Unis dans les années 1970, lorsque les femmes ménopausées étaient traitées par œstrogènes, sans ajout de progestérone. Cette pratique est actuellement totalement proscrite. Tout traitement hormonal substitutif doit impérativement associer les deux hormones, éliminant ainsi ce risque.
Pour en revenir au lien avec l’obésité, plus la masse adipeuse est importante, plus l’exposition aux œstrogènes augmente. De plus, l’obésité, en particulier abdominale, s’accompagne d’un état inflammatoire chronique de bas grade, susceptible d’induire des dommages à l’ADN et de favoriser la cancérogenèse. Les déséquilibres hormonaux et l’insulinorésistance contribuent également à ce risque accru de cancer.
Si le diagnostic précoce est tellement essentiel pour les chances de survie, pourquoi n’existe-t-il pas de programme de dépistage ?
En réalité, trois quarts des cancers de l'endomètre sont identifiés à un stade local précoce. Cela s’explique par le fait que l’un des premiers symptômes est le saignement vaginal, un signe qui alerte immédiatement lors de la ménopause. La plupart des patientes se rendent compte qu’un tel saignement est anormal et consultent leur médecin généraliste ou leur gynécologue, ce qui conduit à des examens complémentaires. Mettre en place un dépistage systématique n’apporterait donc que peu de bénéfices : il faudrait examiner préventivement un très grand nombre de femmes et pratiquer des biopsies chez chacune, une procédure invasive et douloureuse. Il faut toujours peser le pour et le contre, et ici, la balance bénéfices/risques est défavorable. Le plus important reste donc de chercher immédiatement de l’aide en cas de saignement post-ménopausique. Il peut s’agir d’un polype ou d’une autre lésion bénigne, mais tout saignement post-ménopausique doit être considéré comme suspect jusqu’à preuve du contraire.
Existe-t-il également des cas atypiques de cancer de l'endomètre ?
Oui. Dans environ 10 % des cas, le cancer endométrial apparaît avant la ménopause. Il peut alors s’agir d’une forme héréditaire, telle que le syndrome de Lynch. Lorsqu’on sait à l’avance qu’une personne est porteuse de cette affection génétique, un dépistage systématique peut être réalisé (3). Indépendamment de ces formes génétiques, plusieurs sous-types histologiques existent et déterminent en partie le pronostic. Environ un cancer de l'endomètre sur cinq est indépendant des œstrogènes. Ces tumeurs, dont les facteurs de risque sont souvent moins évidents, se révèlent malheureusement plus agressives.
Quelles sont les principales évolutions de ces dernières années ?
Nous constatons que le pourcentage de cancers de l'endomètre découverts au stade I augmente avec le temps, ce qui témoigne de diagnostics de plus en plus précoces. Dans ce contexte, la grande majorité des patientes peut être guérie avec une hystérectomie, parfois associée à une chimiothérapie ou radiothérapie adjuvante. La présence de métastases ganglionnaires, pulmonaires ou péritonéales, péjore nettement le pronostic. Mais l’arrivée des inhibiteurs du point de contrôle immunitaire (ICI), une forme d’immunothérapie ciblée, apporte depuis quelques années un nouvel espoir thérapeutique : certains cas métastatiques peuvent être complètement guéris. La réponse au traitement dépend de nouveau fortement du sous-type histologique, mais le pronostic s’est considérablement amélioré pour un nombre croissant de patientes. Des études sont en cours, pour déterminer si, chez les tumeurs MMR-déficientes (mismatch repair deficiency), les plus sensibles à l’immunothérapie, il serait possible de se passer de chimiothérapie. Par ailleurs, on observe une multiplication du nombre d'études consacrées aux conjugués anticorps-médicaments (ADC). Les premières analyses de cette nouvelle classe de médicaments se sont révélées prometteuses.
Une tendance préoccupante demeure, notamment l’épidémie d’obésité, qui a largement contribué à l’augmentation des cas de cancer de l'endomètre. Je suis très curieux de voir si la nouvelle génération de médicaments anti-obésité permettra de réduire l’incidence du cancer de l'endomètre dans les décennies à venir.
Remarques :
1. L’âge moyen au moment du diagnostic du cancer de l'endomètre est de 65 ans.
2. Compte tenu de la croissance démographique belge, on peut même considérer que l’incidence du cancer de l'endomètre a légèrement reculé.
3. Suivi en cas de syndrome de Lynch : une échographie tous les six mois et une biopsie en cas d’anomalie ou selon l’avis du médecin.