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JM Academy / Pédopsychiatrie

Les méandres de la dépression chez l'adolescent et l'enfant

L'adolescent marche souvent en bordure de la dépression. Quand tombe-t-il dans la pathologie ? Et que penser de la dépression chez l'enfant ?

Philippe Lambert

adolescence psychiatrie dépressionLa question de la dépression chez l'adolescent se révèle des plus délicates car, comme le souligne le Pr Alain Malchair, pédopsychiatre, chargé de cours honoraire à l'Université de Liège et actuellement directeur médical du centre La Manivelle à Liège, il est dans la psychologie normale de l'adolescent d'avoir un vécu interne qui le place souvent en bordure de cette affection. Il est à un âge où l'on expérimente tous les possibles, fussent-ils négatifs, que la vie adulte réservera. Certains auteurs parlent ainsi de la paranoïa ordinaire de l'adolescent, parce qu'il se sent très vite dans la peau d'une victime, persécuté, plongé dans un monde bien mal fait à ses yeux.

Dans ces conditions, Alain Malchair estime que la plus grande prudence est de rigueur au moment de poser un éventuel diagnostic de dépression, de trouble bipolaire, voire de schizophrénie chez un adolescent.

« Il faut se méfier des étiquetages trop rapides », dit-il. « La question à se poser est : le jeune que j'ai devant moi est-il vraiment entré dans la pathologie ou son comportement traduit-il simplement une manifestation de sa personnalité en évolution ? » L'adolescence est le théâtre de remaniements extrêmement profonds, très difficiles à vivre, dans la mesure où le psychisme ne suit pas suffisamment vite la transformation très rapide du corps. Au cours de la première partie de son adolescence, l'individu est même en quelque sorte « un enfant dans un corps d'adulte ».

Comportements compensatoires

Dans son « vécu ambigu », l'adolescent cherche les limites de son corps, dont la modification est brutale et incontrôlable. Il s'efforce de définir sa propre identité. Aussi assiste-t-on parfois à des comportements qui peuvent paraître fâcheux et dommageables, mais qui revêtent généralement des vertus protectrices face à une souffrance morale et sociale ; il s'agit en fait de remparts. Ainsi, il n'est pas rare que des adolescents se coupent volontairement avec un couteau ou un cutter. Recherches des limites, certes, mais ce n'est pas tout.

Pr Alain Malchair
Le Pr Alain Malchair, pédopsychiatre, chargé de cours honoraire à l'Université de Liège et actuellement directeur médical du centre La Manivelle à Liège.

Selon Alain Malchair, ils ont aussi pour objectif de faire couler le sang comme si cela leur permettait d'évacuer une tension intérieure propre à leur statut d'adolescents. « Ils n'ont nullement la volonté de mourir », précise encore le pédopsychiatre, « mais il faut être attentif à ce que certaines frontières ne soient pas franchies, comme par exemple se sectionner un tendon. » Les comportements ressortissant à ce qu'il est convenu d'appeler « les équivalents suicidaires » sont nombreux. Rouler à tombeau ouvert sur une mobylette trafiquée en représente une autre illustration.

Chez la fille adolescente se pose par ailleurs, de façon aiguë, la question de la sexualité et du rapport à la séduction. En soi tout à fait sain, le besoin d'affirmer sa féminité peut toutefois lui échapper. On parle du fantasme des lolitas. Ici, l'arbre cache la forêt, l'incertitude quant à ce corps que l'adolescente ne maîtrise pas encore et dont elle se sert pour tester le regard d'autrui et en conclure qu'elle est bien une femme.

« Comme les autres, ce comportement compensatoire recèle une part de danger, car certains hommes adultes interprètent le comportement de la jeune fille comme une invitation. Ils se trompent : ce n'est pas un appel, mais l'expression d'une angoisse », fait remarquer Alain Malchair. De même, certains comportements de type consommation d'alcool ou de cannabis constituent chez l'adolescent une manière de renforcer son sentiment interne de sécurité. Il veut éprouver l'impression d'être plus fort, se protéger des sentiments d'abandon, de vide, bref fermer une porte d'entrée vers la dépression. Le problème est évidemment le risque de voir ces comportements se fixer et faire le lit d'une assuétude.

Plusieurs voies d'entrée

Quand y a-t-il entrée dans la pathologie dépressive chez l'adolescent ? Bien que l'affection ait des spécificités propres quand elle survient durant cette période de la vie, notre interlocuteur considère que le diagnostic repose principalement sur le critère classique d'un ralentissement psychomoteur durable (plus de deux ou trois mois). On assiste à une perte de l'élan vital, à une anhédonie. Il faut également qu'il y ait rupture par rapport à un état antérieur jugé normal.

La dépression peut survenir chez des adolescents dont les mécanismes compensatoires n'ont pas suffi à leur assurer une protection suffisante. Toutefois, paradoxe apparent, les comportements de compensation perdent leur pouvoir protecteur s'ils basculent dans l'assuétude et risquent ainsi de tracer eux-mêmes le sillon de la dépression. L'assuétude a en effet pour corollaires le décrochage scolaire, le développement de comportements inadéquats, l'apparition ou l'exacerbation de tensions familiales, une désinsertion progressive par rapport au milieu social de l'adolescence... Autant d'éléments qui engendrent un mal-être propice à la genèse d'un syndrome dépressif.

Chez l'adolescent, une autre voie d'entrée dans la dépression réside dans le fait d'avoir vécu dans l'inhibition, la difficulté de s'affirmer (en particulier socialement), et d'en éprouver une douleur morale.

harcèlement pédopsychiatrie« L'anxiété sociale peut être une porte grande ouverte sur un vécu dépressif qui peut se muer en syndrome dépressif avec un risque de passage à l'acte suicidaire », commente le Pr Malchair. Des conséquences similaires peuvent aussi résulter d'un phénomène qui a pris une ampleur considérable depuis une quinzaine d'années et est de plus en plus souvent impliqué dans le mal-être des adolescents : le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement. « Lorsqu'un psychiatre ou un psychologue prend en charge un adolescent ou un enfant victime de harcèlement, il est essentiel qu'il associe les parents à son action, et ce, pas tant sur le plan thérapeutique à proprement parler, mais afin de les pousser à intervenir vigoureusement auprès de la direction, des professeurs et des éducateurs de l'école dans un but de protection de leur fille ou de leur fils », dit Alain Malchair. « En effet, les établissements scolaires sont parfois peu réactifs face à la question du harcèlement. »

« Il ne faut pas malmener la fragilité narcissique foncière de l'adolescent par une confrontation brutale au réel - incarnée, par exemple, par une réalité scolaire désastreuse. »

Fragilité narcissique

Bien qu'il ne nie pas l'utilité des antidépresseurs dans certains cas, le Pr Malchair estime qu'il faut y regarder à deux fois avant d'en prescrire chez les adolescents. Leur administration à de jeunes dépressifs, mais surtout à de jeunes individus qui traversent un moment de mal-être n'ayant de la dépression que l'apparence, n'est pas sans danger. De fait, certaines de ces molécules induisent dans un premier temps une élévation de l'anxiété, susceptible de favoriser un passage à l'acte suicidaire. Par ailleurs, toujours selon le directeur médical du centre La Manivelle, une psychothérapie s'impose dans le cadre d'un syndrome dépressif avéré chez l'adolescent, même si un traitement pharmacologique est prescrit.

La plasticité de l'adolescent lui permet de tirer profit de différentes approches pour autant que le thérapeute fasse preuve d'empathie et soit à l'aise dans le modèle qu'il a choisi.

Quel type de psychothérapie ? Aux yeux de notre interlocuteur, il n'y a pas de voie royale en la matière, la plasticité de l'adolescent lui permettant de tirer profit de différentes approches pour autant que le thérapeute fasse preuve d'empathie et soit à l'aise dans le modèle qu'il a choisi. « Néanmoins », dit-il, « on ne soigne pas un adolescent comme on soigne un adulte, car l'interaction n'est pas la même. En aucune manière, il ne faut malmener la fragilité narcissique foncière de l'adolescent par une confrontation brutale au réel - incarnée, par exemple, par une réalité scolaire désastreuse. Dans ce cas, il se cabrerait, se refermerait, se sentirait persécuté. Assez paradoxalement, il convient à la fois de mettre des gants et d'être direct, mais toujours à travers une porte étroite qui donne au patient le moins de prise possible sur les mécanismes de rationalisation et d'intellectualisation que les adolescents utilisent comme moyens de défense. » Et d'ajouter : « Avec un adulte, on peut s'interroger sur le pourquoi du comment et l'amener à prendre conscience des mécanismes inconscients sous-jacents. Si l'on arpente ce terrain avec un adolescent, il vous démontrera par a + b que le temps est à la pluie, alors qu'il fait plein soleil. »

Chez l'enfant

Redescendons dans la pyramide des âges. Bien que la dépression semble notablement plus rare chez les enfants que chez les adolescents, elle n'en est pas moins une réalité. Elle est d'ailleurs probablement plus fréquente qu'on ne le croit habituellement. Pourquoi ? Chez l'enfant déprimé, le trouble est internalisé et contraste avec des comportements visibles, car externalisés, comme l'hyperactivité, l'agressivité, les troubles oppositionnels avec provocation, etc. L'écueil devant lequel nous place l'enfant déprimé est qu'il ne dérange pas, à telle enseigne que son mal-être peut passer inaperçu. D'autant que dans les représentations des adultes, un enfant est joyeux par définition. « S'il a l'air triste ou peu expansif, on aura tendance à minimiser sa souffrance, à la considérer comme sans gravité et passagère », indique le Pr Malchair. Il y a cependant des signes d'appel, fussent-ils indirects, voire flous, auxquels les parents, les enseignants, le médecin de famille doivent être attentifs. Quels sont-ils ? Notamment un trouble de l'appétit, des douleurs digestives, une baisse de tonus psychique, des cauchemars, un évitement des relations sociales ou encore une perte de goût pour des activités auxquelles l'enfant participait volontiers.

enfant dépression psychiatrieHormis la moindre occurrence d'une dépression endogène, le syndrome dépressif dont peut souffrir un enfant est lié à des événements de vie, dont par exemple une séparation parentale, la maladie grave d'un parent, le fait d'appartenir à une fratrie où le handicap d'un frère ou d'une sœur polarise l'attention des parents, le rejet, la maltraitance, la préférence des parents pour un autre de leurs enfants, le harcèlement scolaire… « En cas de séparation parentale, il est tragique mais malheureusement banal que la souffrance de l'enfant soit niée ou alors qu'elle soit attribuée à l'autre parent et que l'enfant soit utilisé comme une arme contre l'ex-conjoint, ce qui, en outre, est propice à générer chez lui un conflit de loyauté », souligne le directeur médical du centre La Manivelle. Et d'expliquer que ce type de situation est de nature à favoriser l'émergence de troubles comportementaux externalisés à l'adolescence, tels que la consommation de substances, une dépendance aux écrans, de l'agressivité… Le passage à l'acte suicidaire est assez exceptionnel chez l'enfant, mais pas l'idéation suicidaire. Il intériorise l'idée que si on ne l'aime pas, y compris si on le maltraite, c'est sa faute, qu'il est un problème et que mieux vaudrait pour ses parents qu'il ne soit plus là.

Selon le Pr Malchair, il n'est pas question de mettre un enfant sous antidépresseurs ; non, il faut surtout l'écouter et prendre en compte sa tristesse. Lorsque la dépression sévit à cet âge, une prise en charge intégrant les parents dans le travail thérapeutique est, à ses yeux, l'option à privilégier car il est essentiel de rendre à l'enfant la place qu'il mérite dans l'univers familial.

Objectifs d'apprentissage 
La lecture de cet article vous aura familiarisé(e) avec :
- La difficulté de différencier les comportements propres à l’adolescent de la véritable dépression/psychopathologie.
- Les comportements compensatoires en tant que réaction à l’incertitude qui hante l’adolescent.
- Les critères permettant de diagnostiquer la dépression chez l’adolescent.
- Les mécanismes pouvant conduire à la dépression chez l’adolescent.
- La place des antidépresseurs dans le traitement de l’adolescent dépressif.
- La nécessité d’instaurer une psychothérapie chez l’adolescent dépressif.
- Les particularités de la dépression chez l’enfant.

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Écrit par Philippe Lambert16 décembre 2025
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