La dépression est une maladie, pas un trouble
Cette opinion est une réponse à la mise à jour clinique sur la dépression résistante au traitement qui a été publiée dans le JM Academy du 21 octobre 2025.
La mise à jour clinique sur la dépression résistante au traitement illustre une nouvelle fois la confusion qui règne autour de la dépression et de la notion de résistance thérapeutique. L’effet de plusieurs formes de traitement est prouvé, mais elles n’aident pas une grande partie des patients – et c’est alors que l’on parle de dépression résistante. Lorsque, après un diagnostic correct et un traitement approprié (suffisamment intensif et suffisamment long), aucune amélioration n’apparaît, nous parlons de résistance thérapeutique.
La « dépression au sens strict » correspond probablement à ce que l’on appelle aussi dépression majeure, dépression clinique, dépression endogène ou dépression vitale.
Le DSM a été créé à l’origine pour que nous, médecins, soyons au moins d’accord sur ce dont nous parlons. Mais entre-temps, c’est devenu totalement incontrôlable. Le DSM-5 compte 947 pages et distingue 297 troubles. Aux États-Unis, les médecins utilisent aussi l’ICD-10-CM (Clinical Modification), qui contient aujourd’hui environ 70 000 codes.
Selon l’auteur, la situation actuelle dans le monde jouerait un rôle dans l’augmentation des « dépressions au sens strict », alors que nous savons déjà depuis Aristote et Hippocrate qu’il s’agit d’une maladie et non d’un trouble. L’interprétation a certes varié au fil de l’histoire. C’est une maladie dont le premier symptôme est souvent : « En théorie, j’ai tout pour être heureux, mais je n’y arrive pas ». Ce qui est extrêmement frustrant, pour le patient comme pour son entourage.
« Le patient a bien dû faire quelque chose de travers, et c’est pour cela qu’il est malade »
Les circonstances n’y sont en réalité pour rien. C’est très difficile à admettre, car nous cherchons des causes. Or, la plupart des problèmes sont une conséquence de la maladie, pas la cause. « Le patient a bien dû faire quelque chose de travers, et c’est pour cela qu’il est malade » : cette idée reste très répandue.
Poser un diagnostic correct, en distinguant clairement la tristesse et les difficultés psychosociales d’une part, et la maladie dépressive d’autre part, est fondamental. En collaboration – généraliste, psychiatre et psychologue – nous pouvons faire fortement diminuer le nombre de dépressions résistantes. À condition d’être alignés et de mener une politique claire qui inspire confiance.
Dans le premier cas (tristesse / problèmes psychosociaux), un accompagnement psychologique intensif par le généraliste et le psychologue, avec parfois un léger sédatif, aidera le patient à traverser une période difficile. Les antidépresseurs ne feront qu’aggraver l’état de ces patients et les exposer à de nombreux effets secondaires. Nous devons définir les problèmes ensemble et chercher des solutions pour atténuer la souffrance.
"Il faut expliquer que la dépression est une maladie."
La "maladie dépressive" est tout autre chose : le patient ne comprend pas ce qui lui arrive. Il veut, mais n’y arrive pas. Nous devons alors expliquer qu’il s’agit d’une maladie qui n’a rien à voir avec les circonstances. Les difficultés sont la conséquence de la maladie. Nous devons montrer que nous comprenons et que nous reconnaissons ce vécu. Ainsi naît la confiance nécessaire pour entamer le parcours souvent long vers la guérison, la stabilisation ou la rémission.
Le généraliste doit poser le bon diagnostic. Le psychologue l’affine, et le psychiatre le confirme. Le psychiatre pilote, le psychologue et le généraliste soutiennent. Imposer psychothérapie, mindfulness ou autres méthodes à un patient plongé dans une phase aiguë de dépression n’a, selon notre expérience, aucun sens.
Le psychologue peut aider via la psycho-éducation. Le patient et son entourage ont besoin d’explications sur la gravité de la maladie et son évolution. Ils doivent pouvoir parler du sentiment que « cela n’ira jamais mieux », de l’impression d’abandonner tout le monde, de la honte, du tabou, de la culpabilité, de l’impuissance, des pensées suicidaires. Il faut expliquer qu’il s’agit d’un processus difficile, mais que nous ne les abandonnerons pas, que nous les accompagnerons.
On ne parle jamais de douleur psychique, mais nous pensons qu’il s’agit de la pire douleur qu’un être humain puisse ressentir.
"La douleur psychique est la plus sous-estimée, tant par la société que par les soignants."
L’hospitalisation est une option lorsque la situation devient intenable pour le patient ou pour son entourage. Les messages contradictoires, surtout, provoquent le doute et prolongent indéfiniment la maladie. La douleur psychique est la plus sous-estimée, tant par la société que par les soignants.
Pendant ce temps, notre arsenal pharmacologique s’appauvrit. Les anciens antidépresseurs puissants disparaissent, les inhibiteurs de la MAO – pourtant une bénédiction pour une part importante des dépressions résistantes – sont quasiment introuvables. Les thérapies combinées sont devenues la norme pour toutes les maladies organiques : hypertension, asthme, cancers, dermatologie, antibiothérapie hospitalière. Pourquoi cela ne fonctionnerait-il pas pour les maladies mentales ? La littérature montre que les combinaisons peuvent être très efficaces. Mais la recherche est quasi inexistante.
On expérimente désormais la kétamine ou la psilocybine, tandis que des médicaments qui ont fait leurs preuves sont abandonnés et jugés « démodés ». Cela nous inquiète profondément.
Les lignes directrices actuelles ne fonctionnent pas. D’abord on attend – « cela passera peut-être ». Puis on commence par une dose standard de SSRI pour tout le monde, on attend quatre semaines, puis on augmente un peu ou on change, etc. Nous savons pourtant que 4 à 5 % de la population sera confrontée à une dépression au cours de sa vie. Nous savons aussi qu’un nombre important de cas restent non diagnostiqués. 14 % de la population prend des antidépresseurs : cela ne colle pas. D’ici 2030, les troubles mentaux deviendront la première cause d’incapacité de travail (notamment parce qu’ils commencent tôt dans la vie).
Nous trouvons étrange qu’on recommande presque exclusivement les SSRI en première intention.
Nous adhérons à l’idée qu’une dépression est multidimensionnelle : un tableau complexe avec des dimensions biologiques, sociales, psychologiques, existentielles, qu’il faut analyser systématiquement. Nous devons distinguer clairement ce qui relève de la biologie et ce qui relève du psychosocial : qu’est-ce qui vient en premier ? qu’est-ce qui est déterminant ? comment établir un plan de traitement ?
Nous trouvons curieux que l’on privilégie les SSRI alors que l’expérience clinique montre que la sérotonine agit surtout sur l’anxiété, tandis que la noradrénaline et la dopamine sont davantage liées à l’épuisement extrême, à l’apathie et au manque de motivation. Avant la dépression, ces patients avaient une personnalité et une énergie normales, qui se rétablissent pleinement après un traitement efficace.
"Les lignes directrices « Dépression chez l’adulte » de Domus Medica, rédigées avec certains psychiatres, sont un outil précieux pour les généralistes."
L’article rappelle qu’il existe une énorme confusion sur la définition même de la dépression. Nous avons besoin d’une meilleure description de la maladie dépressive, distincte de l’état dépressif provoqué par des facteurs psychosociaux. Ce sont deux entités totalement différentes. Les lignes directrices « Dépression chez l’adulte » de Domus Medica, rédigées avec certains psychiatres, sont un outil précieux pour les généralistes.
Il est urgent de mener des recherches pour affiner le diagnostic et les traitements, pour mieux utiliser les médicaments existants, surtout les combinaisons. La recherche sur les nouvelles thérapies – encore balbutiantes – doit aussi s’intensifier.
Il reste énormément de travail. Ce n’est qu’à cette condition que nous pourrons réduire à terme la proportion de dépressions résistantes, avec leur charge de souffrance psychique et d’absences longues.
Dr A. Tanghe – Dr E. Bollen – Dr Th. Vandamme
Cabinet de groupe P.B.C.