Vers un tournant dans l’approche des cancers difficilement traitables
ONCOLOGIE Le congrès 2025 de la Société européenne d'oncologie médicale (ESMO) qui vient de refermer ses portes a mis en lumière plusieurs avancées prometteuses, tant dans l’immunothérapie et les thérapies ciblées que dans la personnalisation des traitements en cancérologie.
Plusieurs présentations se sont particulièrement détachées par leur potentiel à modifier les standards : un traitement par CAR-T novateur pour les tumeurs solides, un anticorps-médicament conjugué (AMC) en première ligne pour le cancer du sein triple-négatif (TNBC), une nouvelle stratégie post-adjuvante dans le cancer du sein HR+/HER2- et un traitement du cancer du pancréas KRAS G12D positif.
CAR-T pour tumeurs solides
Un des faits saillants de cette édition 2025 est la présentation des premiers résultats d’un traitement CAR-T (satricabtagène autoleucel) dirigé contre un antigène exprimé dans certaines tumeurs solides. Les intervenants ont montré que ce traitement, administré à des patients en rechute après plusieurs lignes, peut offrir un contrôle tumoral durable, avec un profil de tolérance acceptable dans le contexte d’un traitement personnalisé.
TNBC: changement de paradigme
Un autre temps fort concernait le sacituzumab govitécan, un anticorps-médicament conjugué (AMC) testé en première ligne chez des patientes atteintes de TNBC, une population historiquement difficile à traiter. Les résultats montrent une amélioration significative de la survie sans progression par rapport à la chimiothérapie standard, associée à un profil de tolérance acceptable et à un meilleur contrôle tumoral.
Ce type de données pourrait modifier sensiblement les recommandations : cet AMC pourrait devenir l’option privilégiée dès le diagnostic métastatique, en particulier chez les patientes ne pouvant bénéficier d’une immunothérapie. Pour les équipes médicales, cela implique une réflexion dès la réunion de concertation pluridisciplinaire, qui débouchera peut-être sur la décision plus précoce d’initier un traitement ciblé, ainsi que d’anticiper la toxicité, organiser le suivi hématologique et la gestion des effets secondaires, et adapter le suivi à long terme.
Affiner la décision en HR+/HER2-
Le congrès a mis en avant des données récentes concernant le traitement adjuvant du cancer du sein HR+/HER2-. Une nouvelle étude suggère que l’ajout d’un inhibiteur des cycles cellulaires (CDK4/6) pendant la période adjuvante pourrait améliorer la survie sans récidive invasive, en particulier chez les patientes à risque intermédiaire ou élevé.
Ce changement potentiel du standard thérapeutique impose aux oncologues de repenser le profil des patientes à cibler, d’évaluer la tolérance sur le long terme et de prévoir l’accompagnement psychologique, la surveillance biologique et la gestion des effets secondaires. Le bénéfice doit être mis en balance avec le risque de surtraitement, le coût et l’observance thérapeutique.
Cancer du pancréas
L’un des sujets qui a particulièrement attiré l’attention concerne le cancer du pancréas, longtemps considéré comme l’un des cancers les plus « orphelins » en termes d’innovations thérapeutiques. Pour la première fois, des données encourageantes ont été présentées avec un inhibiteur oral ciblant spécifiquement la mutation KRAS G12D, très fréquente dans cet adénocarcinome.
Dans une étude en cours, 66 patients atteints de cancer pancréatique avancé et porteurs de la mutation KRAS G12D ont reçu un nouveau traitement oral, le GFH375. Les résultats intermédiaires sont frappants dans cette maladie réputée chimiorésistante : environ 41% des patients ont eu une réduction significative de la taille tumorale, et 97% ont vu leur maladie soit régresser, soit au minimum se stabiliser. Après un suivi médian d’environ 141 jours, 83% des patients étaient toujours en vie et en relativement bon contrôle de leur maladie à trois mois. De plus, le profil de tolérance est décrit comme globalement gérable.
Pour la pratique clinique, ces résultats ne suffisent pas encore à modifier les recommandations, mais ils posent les bases de futurs essais randomisés contre les standard-of-care actuels (FOLFIRINOX, gemcitabine + nab-paclitaxel…). Ils rappellent aussi l’importance d’un profilage moléculaire systématique, y compris dans des cancers où il n’était pas considéré comme prioritaire, il y a encore quelques années.
En filigrane, ce signal positif permet de nourrir un certain optimisme : si des cibles longtemps jugées inaccessibles comme KRAS commencent à se laisser apprivoiser, d’autres sous-groupes de patients aujourd’hui sans options pourront à leur tour bénéficier de thérapies de précision. Pour les cliniciens comme pour les patients, le cancer du pancréas n’est peut-être plus condamné à rester en marge de la révolution thérapeutique en cours.
Des soins plus complexes
La convergence de ces différents axes colle à l’évolution actuelle de l’oncologie : une personnalisation accrue, l’adaptation thérapeutique au profil moléculaire ou clinique, et la multipolarité des options. Pour les praticiens, cela signifie que la prise en charge ne se limite plus au standard chimiothérapie + radiothérapie + hormonothérapie, mais à un éventail d’armes à calibrer finement selon le cas présenté par les patients et le contexte.
Ces nouveautés thérapeutiques appellent des transformations organisationnelles importantes, comme la création de filières CAR-T, la coordination entre oncologie médicale, hématologie, pharmacie et soins de support, le renforcement des réunions multidisciplinaires pour intégrer les nouvelles options, et le suivi à long terme des toxicités. L’accès aux molécules, leur coût et les critères d’éligibilité deviendront des enjeux cruciaux, tant d’un point de vue médical que systémique, notamment en fonction des différents systèmes de soins de santé.
Enthousiasme trop précoce ?
La prudence doit rester de mise car, comme dans de nombreux congrès, les données présentées restent, pour la plupart, précoces. Ainsi, pour l’AMC en première ligne, les suivis sont encore courts, l’impact sur la survie globale reste à établir, et les effets à long terme inconnus. Pour l’adjuvant CDK4/6, les risques de surtraitement et d’effets indésirables chroniques nécessitent un suivi rigoureux.
Il faudra donc des études post-marketing, des registres, des cohortes prospectives pour obtenir des données réelles et un monitoring systématique pour confirmer la durabilité des bénéfices, évaluer la qualité de vie, la survie à long terme, les toxicités tardives, et les retombées en santé publique.
Références
1. Qi C et al. Claudin-18 isoform 2-specific CAR T-cell therapy (satri-cel) versus treatment of physician's choice for previously treated advanced gastric or gastro-oesophageal junction cancer (CT041-ST-01): a randomised, open-label, phase 2 trial. Lancet. 2025 Jun 7;405(10494):2049-2060. doi: 10.1016/S0140-6736(25)00860-8
2. Cortés J et al. Sacituzumab Govitecan in Untreated, Advanced Triple-Negative Breast Cancer. N Engl J Med. 2025 Nov 13;393(19):1912-1925. doi: 10.1056/NEJMoa2511734
3. Johnston SRD et al. monarchE: Primary overall survival (OS) results of adjuvant abemaciclib + endocrine therapy (ET) for HR+, HER2-, high-risk early breast cancer (EBC). ESMO Congress 2025 – LBA 13
4. GenFleet Therapeutics. Efficacy and Safety of GFH375 Monotherapy in Previously Treated Advanced KRAS G12D Mutant Pancreatic Ductal Adenocarcinoma (PDAC). ESMO Congress 2025 - Abstract LBA84