Cancers digestifs : quatre (potentiels) changements de pratique
CONGRÈS ESMO L’ESMO 2025 a livré de nombreuses données intéressantes en oncologie digestive. Nous avons sélectionné quatre études dont les résultats positifs vont ou pourraient bousculer les standards thérapeutiques à court ou moyen terme.
Cancers de l’estomac
Dans l’adénocarcinome de l’estomac et de la jonction gastro-œsophagienne, le protocole FLOT s’est imposé comme la colonne vertébrale du traitement périopératoire. Pourtant, la survie à long terme demeure améliorable et le risque de récidive assez élevé.
L’arrivée de l’immunothérapie dans les formes avancées laissait présager une extension au périopératoire, mais aucune étude n’avait encore réussi à démontrer de manière robuste un bénéfice en phase opérable. C’est désormais chose faite avec l’étude MATTERHORN (Tabernero et al., LBA81), l’un des moments forts de l’ESMO 2025.
En effet, l’essai de phase 3 a ajouté un an de durvalumab au schéma périopératoire FLOT, sans modifier la séquence thérapeutique habituelle (4 cycles). Les données montrent un HR de survie globale de 0,78, soit une réduction de 22 % du risque de décès, avec un bénéfice confirmé pour la survie sans événement (EFS) et des réponses pathologiques améliorées. « Notons que les toxicités restent gérables et, surtout, que le résultat est indépendant du score CPS/PD-L1 », commente le Pr Jean-Luc Van Laethem, directeur du service d’oncologie digestive de l’Hôpital universitaire de Bruxelles (Bordet-Erasme). « Le bénéfice est donc clair et applicable à toutes et tous, raison pour laquelle cette stratégie devient aujourd’hui notre nouveau standard dans les tumeurs résécables. »
Tumeurs neuroendocrines
Les tumeurs neuroendocrines gastroentéropancréatiques (GEP-NET) bien différenciées (grade 1–2) représentent un spectre très particulier au sein des cancers digestifs : croissance lente, mais persistante, risque de progression à long terme, forte hétérogénéité biologique et expression variable - mais souvent marquée - des récepteurs à la somatostatine.
Après progression sous analogues de la somatostatine, plusieurs options existent : everolimus, sunitinib, chimiothérapies orales et, bien sûr, les thérapies par radioligands (PRRT). À cet égard, l’étude COMPETE (Capdevila et al., abstract 1706O) apporte un élément crucial : pour la première fois dans un essai randomisé de phase III, une thérapie vectorisée (177Lu-edotreotide) est directement comparée à une thérapie ciblée standard (everolimus). Et les résultats établissent la supériorité de la première sur la seconde. En effet, la survie sans progression médiane (mPFS, objectif primaire) est de 23,9 mois contre 14,1 mois (HR=0,67) ; soit une différence de près de dix mois, assez considérable dans les NET bien différenciées. De plus, le taux de réponse objective (ORR) est quatre fois plus important (21,9 %, contre 4,2 %) dans le bras vectorisé, témoignant d’une activité antitumorale réelle, bien au-delà de la simple stabilisation.
Cerise sur le gâteau, la différence de toxicité est remarquable : 1,8 % d’interruptions de traitement pour effets secondaires dans le bras 177Lu-edotreotide, contre 15,2 % dans l’autre. Selon le Pr Van Laethem, « COMPETE conforte la thérapie vectorisée comme l’option la plus robuste en seconde ligne, après l’échec des analogues. »
Les PRRT ont actuellement le vent en poupe, avec, en Belgique, une expertise confirmée, notamment dans les centres d’excellence accrédités ENETS [1]. Ce nouveau paradigme thérapeutique devrait donc s’intégrer facilement dans nos parcours de soins.
Cancers du foie
Le carcinome hépatocellulaire (HCC) est un cancer dont les stratégies thérapeutiques sont fortement structurées par la classification BCLC. Cette stratification détermine non seulement les indications thérapeutiques, mais aussi la philosophie même de la prise en charge. Ainsi, pour les stades intermédiaires (B), on opte pour la chimioembolisation transartérielle (TACE), tandis que les thérapies systémiques sont privilégiées seulement en cas d’échec ou d’inéligibilité à la TACE.
L’essai ABC-HCC (Galle et al., LBA51) bouscule ce paradigme puisqu’il a osé comparer directement la TACE à une combinaison atézolizumab + bevacizumab dans une population éligible à une approche locorégionale. Les premiers résultats intermédiaires (33 %) sont étonnants, puisqu’ils font état d’un temps d’échec de la stratégie thérapeutique (TTFS) de près de 14,6 mois dans le bras systémique, contre un peu moins de 9,5 mois dans le bras TACE et d’un HR de 0,545 - soit une réduction de plus de 45 % du risque d’échec de stratégie thérapeutique.
« Pour la première fois, un traitement systémique semble faire mieux que le TACE dans les HCC intermédiaires. »
« Pour la première fois, un traitement systémique semble faire mieux que le TACE dans les HCC intermédiaires », commente le Pr Van Laethem. « C’est un signal majeur, mais il reste préliminaire. L’étude doit aller à son terme et délivrer des résultats plus matures de survie. »
Cancers du pancréas
L’adénocarcinome pancréatique reste l’un des cancers digestifs les plus complexes et les plus meurtriers. Malgré les avancées de la chimiothérapie intensive - en particulier grâce au (m)FOLFIRINOX -, la survie globale demeure faible, même dans les formes résécables d’emblée. Toute tentative visant à améliorer la séquence thérapeutique est donc scrutée de près par la communauté médicale.
Dans ce contexte, l’étude italienne CASSANDRA (Reni et al., LBA85) pose la question de l’intensification de la néoadjuvance, tout en comparant deux schémas de chimiothérapie : faut-il prolonger celle-ci au-delà de quatre mois ? Pour ce faire, l’essai a comparé mFOLFIRINOX et une combinaison inhabituelle chez nous, mais rapportée assez active : l’association cisplatine, nab-paclitaxel, capécitabine et gemcitabine (PAXG). Après quatre mois de chimio, les patients non progressifs ont été re-randomisés entre chirurgie immédiate et prolongation de chimiothérapie de deux mois.
Aucun bénéfice significatif n’a été observé en EFS (13,6 contre 13 mois) ni en survie globale (36,3 contre 32,8 mois), même si « la chimiothérapie pendant six mois augmente la réponse pathologique [2] », note le Pr Van Laethem. « La combinaison “italienne” PAXG fait cependant mieux que le mFOLFIRINOX en termes de survies sans événement et globale. Ce qui pose de nouvelles questions : faut-il privilégier la PAXG, encore à investiguer dans la pratique courante ? Et faut-il donner de la chimio néoadjuvante à toute la patientèle opérable ? Réponses à venir ! »
1. La Société européenne des tumeurs neuroendocrines (ENETS) certifie les hôpitaux garantissant des normes de qualité élevées dans la prise en charge de ces cancers.
2. Le PAXG est associé à un taux de réponse pathologique complète légèrement supérieur (5 % contre 0 %) et à un taux d’absence d’atteinte ganglionnaire (N0) significativement plus élevé (46 % contre 26 %).