Médecine du sport

UTMB: le double défi du Dr Pascal Lété

Ce médecin généraliste retraité, originaire de Tournai mais installé en région liégeoise depuis plus de 40 ans, vient non seulement de gagner l’ultra-trail du Mont-Blanc dans sa catégorie, il a, en outre, « poussé le bouchon » jusqu’à faire l’aller-retour pour Chamonix à vélo. Soit, au total, 1.700 km dans les mollets. Quelle mouche l’a donc piqué ? Simplement le désir de nous inviter, par l’exemple, à bouger davantage, pour préserver notre bien le plus précieux: la santé.

Dr Pascal Lété - UTMB175 km en 37h24, à 2.500 m d’altitude

Attention, spoiler alert : cet article va furieusement vous donner envie de chausser vos baskets, d'enfourcher votre VTT ou de prendre votre retraite (voire les trois à la fois). Car c’est l’histoire d’un homme heureux: celle du Dr Pascal Lété, médecin généraliste qui après s’être dévoué à ses patients pendant 42 ans, vient de s’offrir trois semaines de parenthèse enchantée en participant à l'UTMB - l'ultra-trail du Mont-Blanc (175 km de course à pied autour du Mont-Blanc, 9.900 m de dénivelé positif).

Du bonheur à l’état pur pour ce médecin porté par un message de santé publique accessible à chacun, et que l’on pourrait résumer en deux mots: slow motion.

« Moins de voiture, moins d’écrans. Plus de calme et de lenteur », gazouille-t-il, encore sous le charme des endorphines de son défi sportif. « Remettons-nous en mouvement, reconnectons-nous à la nature et à l’Autre, ne fût-ce que pour lui demander notre chemin ou de remplir notre gourde d'eau. »

Et l'aller-retour à vélo

Pascal Lété fêtera ses 67 ans ce 30 septembre. Ce médecin de famille, diplômé de l'UCL, a raccroché son stéthoscope le 1er novembre 2024 et remis sa patientèle à trois jeunes confrères. Dans son (ex-)cabinet médical de Petit-Rechain, en périphérie de Verviers (province de Liège), il en a vu des petits patients et de jeunes adultes se sédentariser, devenant des clients en puissance pour les maladies chroniques dont bon nombre pourraient pourtant être évitées à condition de se bouger un peu.

Dr Pascal Lété avec trophéeAlors, ce médecin fraîchement pensionné a sorti son vieux VTT, l’a affublé de sacoches pour y glisser tente et réchaud, et il a roulé jusqu’à Chamonix (730 km en huit jours), d’où il s’est élancé, le 29 août à 17h45 précises, pour l’UTMB 2025. Il est arrivé 37h24 plus tard, lauréat de sa catégorie d’âge (65-69 ans). Alors, il a réenfourché sa bécane et il est rentré à la maison (Tinlot: 800 km). Mais cette fois, en faisant l’école buissonnière, bivouaquant notamment sous les étoiles dans les forêts du Jura, en "s'imprégnant de cette magnifique nature que l'on peut apprécier très fort quand on va lentement et calmement", rappelle-t-il.

Des conditions dantesques

« C’est un bel effort, pas un gros exploit au niveau performance », tempère-t-il en toute humilité. « L’an dernier, un sexagénaire a fait le tour en 25h et Marco Olmo, qui l'a gagné deux fois à 57 et 58 ans, allait encore plus vite (21h) ! Mais je suis content car les conditions climatiques étaient très difficiles cette année, avec deux cols à passer sous la neige. Il faisait très froid, il y avait beaucoup de vent et les descentes étaient particulièrement glissantes. » Pour donner une idée de l'enfer vécu, rien que dans sa catégorie, ils sont partis à près de 30, mais ils n'étaient que quatre finishers sur la ligne d’arrivée...

Le secret de notre Belge? Une bonne préparation en amont. "Pour une course comme ça, on n'arrive pas le samedi pour courir le dimanche", prêche-t-il désormais, à l'opposé de l'expérience de ses deux premiers UTMB courus quand il était encore en activité médicale: "Je descendais vite fait à Chamonix parce que j'avais travaillé jusqu'à la dernière minute, et je rentrais dans la nuit du dimanche parce que je devais travailler le lundi..."

Cette fois, le Dr Lété a pris le temps. Se sachant sujet au mal d’altitude, il est, par exemple, arrivé quelques jours en avance pour passer trois nuits à 2.000 mètres et pouvoir s’acclimater (et reposer ses jambes éreintées par la route à vélo, NdlR). "Ainsi, je n'ai eu aucun mal à passer les cols à 2.500m pendant l'UTMB, et dormir en refuges fut également une belle expérience." À l’écoute de son métabolisme mis à rude épreuve, il sait aussi gérer les troubles digestifs et piquer une micro-sieste à l’appel de Morphée quand la nuit n’en finit plus (lire encadré ci-dessous).

La régularité en ligne de mire

C’est sûrement un grand sportif de toujours pour arriver à faire ça, vous dites-vous sans doute. « Oui… enfin, 1m74, ce n’est pas si grand que ça ! », rétorque-t-il en riant. Plus sérieusement: « J’ai toujours bougé. Petits, nous étions toujours dehors, en activité, sur son vélo, jamais devant la TV. J’ai eu le téléphone (fixe) à 18 ans quand je suis entré en médecine ! J’ai joué au foot jusqu’à 33 ans, puis j’ai commencé à faire des joggings de villages, genre 10 km. Progressivement, je suis passé au semi-marathon, puis au marathon. »

Et c’est ainsi que 12x42,5 km plus tard, il tombe en amour pour le trail, puis l’ultra-trail (100+ km). Entre-temps, ses enfants ont grandi et il peut partir courir en montagne. À son actif, désormais, la Diagonale des fous, le Tor des géants, le Marathon des sables, la Transgrancanaria, l’ultra trail de l'île de Madère, trois UTMB...

Dr P. Lété à son retour« Certes, j'ai fait du sport toute ma vie. Mais sans entraînement démesuré (trois à quatre sorties hebdomadaires, soit entre 50 et 70km par semaine). Je n’ai jamais été dans l’excès, mais je n’ai jamais arrêté, même en hiver. C’est ainsi que j’ai pu faire une telle expédition à 67 ans. On a tous des aptitudes un peu différentes, mais chacun peut se mettre en mouvement à son rythme. »

Si le Dr Lété prescrivait déjà de l’activité physique à ses patients bien avant même le concept de ‘sport sur ordonnance’, aujourd’hui plus que jamais, il entend montrer l’exemple.  Pour la santé publique. Pour la santé tant physique que mentale: « Il faut lutter contre l’inactivité au quotidien: aller au sport deux fois par semaine et ne pas bouger les autres jours n’est pas la solution. La régularité compte davantage que la performance. »

Utiliser ses jambes participe aussi de la transformation de la société vers davantage de durabilité, moins d'émissions de gaz à effet de serre: « On peut faire tout ça sans une goutte de carburant, à condition de prendre son temps. Tout le monde peut marcher un peu pour aller à l’école et au travail, ou utiliser le vélo - à condition qu’on sécurise les routes. » Transformer la société sans que ce ne soit une punition, tout en redécouvrant le bien-être de l’activité, tel est le credo du Dr Lété : « Réapprenons à aimer utiliser notre corps pour nous faire du bien. Mon défi sportif n’était pas 'dur', j’ai adoré ce voyage qui m’a apporté beaucoup de bonheur. »

"Réapprenons à aimer utiliser notre corps pour nous faire du bien."

Prochain défi? Du plaisir, plutôt: "Je n'ai pas énormément voyagé dans ma vie avec mon travail de médecin et mes enfants. J'aimerais bien aller me balader sur le GR20 en Corse ou dans les Pyrénées, et faire d'autres périples en vélo."

Être un médecin aguerri aide-t-il dans un tel défi sportif ?

Le journal du Médecin: les médecins ne sont pas rares parmi les coureurs de l'extrême. Parce qu'ils gèrent mieux les aspects médicaux d'un tel défi ?
Dr Pascal Lété: Être médecin aide à comprendre la physiologie du corps à l'effort et les principes d'hydratation et d'alimentation qui font partie du cursus. Je n'ai pas de certificat en médecine du sport, mais je me suis toujours intéressé à la physiologie du sport et j'ai aussi soigné beaucoup de sportifs en tant que médecin généraliste. Je sais qu'il ne faut pas partir trop vite et qu'il faut éventuellement surveiller sa fréquence cardiaque, mais ça, tout le monde peut l'apprendre.

Qu'est-ce qui est le plus dur, médicalement, à l'UTMB ?
Une des choses les plus limitantes dans ce genre d'effort, ce sont les problèmes de digestion et de transit: vous n'arrivez plus à vous alimenter, ça reste sur l'estomac et vous pouvez avoir des nausées. Quand vous faites un effort physique, la circulation sanguine privilégie l'irrigation des muscles périphériques et diminue un peu la vascularisation de l'intestin et de l'estomac. C'est un apprentissage: il faut se connaître pour savoir ce qui passe ou pas, savoir ralentir après le repas pour digérer. 

Le risque étant de se sous-alimenter pour éviter les nausées ?
Oui, et ça peut provoquer de grosses pertes d'énergie, des coups de 'moins bien' qui durent 10 à 20 minutes, il faut continuer en ralentissant. Une fois que le système nerveux autonome reprend son équilibre, on peut repartir plus vite. 

Avez-vous suivi une diète spécifique avant l'événement ? Riche en glucides ou lipides, par exemple ?
Non, on a tous suffisamment de réserves, généralement, pour ce type de trail. Le corps fait une lipolyse, ça n'empêche pas de continuer l'effort mais ça diminue très fort la vitesse, la puissance et l'aisance: vous vous sentez fatigué, les muscles se vident en glycogène relativement vite, surtout si vous partez trop rapidement. Il faut consommer régulièrement des aliments qui contiennent des hydrates de carbone comme de petits morceaux de banane ou de barre aux céréales. Si l'on ne sait plus s’alimenter ou boire, il faut arrêter, temporairement ou définitivement. La déshydratation peut conduire à des troubles rénaux potentiellement graves. L'hyperthermie, l'hypothermie et la déshydratation sont trois éléments qui requièrent une hyper vigilance.

Quel est le moment - le "mur" - le plus dur ?
Pour moi, c'est la fin de nuit, c'est là que j'ai envie de dormir. On démarre un peu avant 18h, donc on passe deux nuits complètes en montagne pour les participants qui vont à ma vitesse (pas le premier du classement, Tom Evans, qui a mis 19h19, NdlR). Je suis arrivé à 7h du matin, la première nuit s'est bien passée, mais la deuxième, au Trient, j'ai fait un petit somme de 5 minutes, j'ai mangé une soupe avec des pâtes et je suis reparti jusqu'au bout.

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Écrit par Cécile Vrayenne17 septembre 2025
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