Le journal du médecin

Maladies rares : vers une "ligne zéro" ?

Les maladies rares sont définies comme des affections qui touchent moins d’1 personne sur 2.000. Selon Sciensano, il existe actuellement quelque 6.200 maladies rares définies cliniquement. Et bien que chaque affection prise isolément soit peu fréquente, elles concernent ensemble une part importante de la population. On estime que 3,5 à 5,9 % de la population mondiale vit avec une maladie rare, ce qui correspond, pour la Belgique, à une estimation prudente d’environ 500.000 personnes.

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De gauche à droite : Dre Alicia Montesanti, Christophe Vanden Broeck, Dr Stefan Teughels et Stefan Joris.

Pour faire le point sur la situation actuelle dans notre pays, la Dre Alicia Montesanti, de la cellule de recherche Maladies rares de la Société scientifique de Médecine générale (SSMG) et Christophe Vanden Broeck, fondateur-administrateur de l'organisation de patients NMP Belgique, ont débattu de la question avec Stefan Joris, président de RaDiOrg asbl – l’organisation faîtière des patients atteints d’une maladie rare – et le Dr Stefan Teughels, directeur médical de Domus Medica. Le débat était animé par le rédacteur en chef du journal du Médecin, François Hardy, et son homologue Filip Ceulemans, d'Artsenkrant.

Filip Ceulemans ouvre le débat en contextualisant le sujet : « En 2013, le Plan belge pour les maladies rares a été approuvé. Nous sommes maintenant plus de dix ans plus tard, où en est-on aujourd’hui ? »

« À l’exception de quelques nouvelles conventions autour des maladies métaboliques, il n’existe actuellement aucun parcours systématique et multidisciplinaire pour les maladies rares. Même en matière de dépistage, les progrès restent limités », déclare sans détour Stefan Joris, complété par Christoph Vanden Broeck : « Le fait qu’il existe un plan est positif, mais dans la réalité, la structure, les moyens et les collaborations nécessaires sont à peine mis en place à ce stade. »

La Dre Alicia Montesanti partage ce constat. « Au sein de notre cellule de recherche Maladies rares, nous apprenons aux médecins généralistes à reconnaître des “red flags” spécifiques. Mais nous recevons très peu de soutien pour cela, et il manque toujours des initiatives structurées venues d’en haut », explique-t-elle. « La sensibilisation reste pourtant cruciale : si nous, en tant que médecins, ne travaillons pas activement sur les maladies rares, nous n’y pensons tout simplement pas. La pratique quotidienne est extrêmement chargée pour les collègues, ce qui fait malheureusement disparaître les maladies rares de notre champ de vision. »

Le Dr Stefan Teughels insiste à son tour sur la complexité du dossier des maladies rares. « S’attaquer à une seule maladie rare est déjà un défi, a fortiori aux quelque 6.200 recensées. Il est pratiquement impossible de conclure une convention distincte pour chaque affection et de prévoir un nombre suffisant de centres spécialisés. Certaines pathologies n’apparaissent en Belgique qu’une ou deux fois, ce qui rend une collaboration internationale indispensable pour rassembler l’expertise. »

Selon Stefan Teughels, le politique doit apporter des réponses sur plusieurs fronts à la fois. Les aspects assurantiels, les modalités de remboursement et même des sensibilités sociétales – comme l’attention médiatique, l’émotion publique et le lobbying autour de certaines maladies spécifiques – entrent en ligne de compte. Tout cela forme, selon lui, un ensemble particulièrement complexe.

« Ce que l’on ne voit pas, on ne peut pas le traiter. » Selon Stefan Joris, l’absence de données suffisamment documentées et centralisées constitue un obstacle majeur dans l’approche actuelle des maladies rares.

Stefan Joris
Stefan Joris.

Nous avons affaire à un large groupe de citoyens dont nous ne savons pas précisément qui ils sont aujourd’hui. « La première mission est donc de rendre ce groupe visible. En Belgique, on estime que plus de 500.000 personnes vivent avec une maladie rare, alors que les registres de notre ASBL ne comptent que 15.000 personnes. Nous passons donc à côté d’une part considérable des patients », souligne le président de RaDiOrg.

« Poser le diagnostic constitue un deuxième point d’attention essentiel. Aujourd’hui, le délai d’attente moyen pour un diagnostic est de 4,9 ans : c'est beaucoup trop long. Les médecins doivent pouvoir reconnaître plus rapidement certains signaux d’alerte. Mais par où commencer, lorsqu’il existe 6.200 affections différentes ? Une approche possible consiste à les regrouper en clusters, en les alignant sur les réseaux européens ERN. Par exemple autour des maladies pulmonaires, des affections neuromusculaires ou des maladies métaboliques. Des centres d’expertise peuvent alors être organisés autour de ces clusters, après quoi un trajet de soins générique peut être élaboré, puis affiné pour chaque maladie spécifique. »

Reconnaître des schémas

L’intelligence artificielle (IA) évolue à toute vitesse et est aujourd’hui devenue incontournable dans notre système de soins. Dans le domaine des maladies rares aussi, l’IA pourrait jouer un rôle important, soulignent la Dre Montesanti et Stefan Joris. « L’IA excelle dans la reconnaissance de schémas. Par exemple, un patient qui revient dix fois en trois mois pour une gastro-entérite aqueuse. Nous disposons déjà de systèmes qui nous alertent en cas d’allergies ou pour les vaccinations, alors pourquoi pas aussi pour les maladies rares ? », explique Alicia Montesanti. « Il y a deux ans, nous ne savions quasiment rien de l’IA, et regardez où nous en sommes aujourd’hui. Je vois donc certainement des possibilités, à condition qu’elle soit intégrée dans nos logiciels et donc facilement utilisable. Le seul écueil, c’est qu’il faut évidemment alimenter le système avec l’ensemble des connaissances sur ces quelque 6.200 maladies rares, ce qui nécessite du temps et de l’argent. Dans le contexte actuel de restrictions budgétaires, c’est plus facile à dire qu’à faire. »

« Le labyrinthe de l'errance diagnostique est peut-être la pire épreuve qu’un patient traverse, avant même le diagnostic final. »
– Dre Alicia Montesanti

Le labyrinthe de l'errance diagnostique

Le Dr Teughels observe qu’il y a beaucoup à gagner au niveau de la deuxième ligne. « En tant que médecin généraliste, nous voyons aujourd’hui de nombreux patients présentant des “plaintes vagues”, comme la fatigue, la douleur ou un malaise général. Il est difficile de les faire entrer dans une seule case. Lorsque j’ai un soupçon et que j’oriente vers l’hôpital, je constate que le parcours est devenu nettement plus complexe. Cela tient à l’augmentation du nombre de surspécialités. Quand j’ai commencé ma pratique, il y avait encore, à l’hôpital, un interniste généraliste : quelqu’un avec une vision large, capable de réfléchir avec nous et de reconstituer le puzzle lorsque les plaintes ne rentraient pas dans une catégorie claire. Cette figure manque aujourd’hui, alors qu’à mon sens elle est précisément très nécessaire. »

Alicia Montesanti acquiesce : « Pour une étude menée au sein de notre cellule de recherche, j’ai envoyé un questionnaire à différents généralistes à Bruxelles et en Wallonie. Les résultats étaient clairs : les médecins généralistes se sentent submergés par la charge de travail et estiment que la capacité médicale est limitée. Ils se sentent “impuissants” – c’est littéralement le mot qui revenait sans cesse. »

Elle poursuit en affirmant que même pour les spécialistes il est difficile de diagnostiquer une maladie rare. « Cela nous enferme dans un cercle vicieux de renvois successifs, qui a un impact énorme sur le patient. Le labyrinthe de l'errance diagnostique est peut-être la pire épreuve qu’un patient traverse, avant même le diagnostic final. »

Christophe Vanden Broeck complète les propos de la Dre Montesanti et conclut : « Les patients disent avoir honte et éprouvent des difficultés à aller chez le généraliste. Beaucoup ont aussi l’impression que leur maladie est “dans leur tête”, parce qu’ils n’obtiennent pas de diagnostic. Une fois celui-ci enfin posé, ils le décrivent comme un poids qui tombe de leurs épaules. “Je ne suis donc pas fou.” C’est pourquoi nous devons peut-être aussi regarder vers une “ligne zéro”, à savoir le patient lui-même. Si les patients étaient mieux éduqués, par exemple à l’école ou via des campagnes, pour reconnaître et relier entre eux de petits symptômes, les diagnostics seraient posés plus rapidement. »

Le débat a été rendu possible grâce au soutien de MSD, CSL Vifor et Chiesi.

Christoph Vanden Broeck
La Dre Alicia Montesanti et Christophe Vanden Broeck.

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Écrit par Floris Cup11 décembre 2025

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