Le journal du médecin

Grève des médecins : Vandenbroucke face à une Chambre divisée

La grève du 7 juillet a ouvert un débat intense à la Chambre, mardi 8 juillet. Interpellé de toutes parts, le ministre fédéral de la Santé Frank Vandenbroucke a défendu sa réforme, tout en détaillant les amendements apportés à l’avant-projet de loi.

Laurent Zanella

Frank Vandenbroucke

Réunis en commission de la Santé et de l'Égalité des chances le mardi 8 juillet, les députés ont interpellé Frank Vandenbroucke sur plusieurs aspects de son avant-projet de loi, à l’origine d’une mobilisation la veille. Le débat a donné lieu à une série de questions conjointes, émanant tant de l’opposition que de formations de la majorité. « La grève des médecins d’hier traduit le malaise profond de nombreux professionnels de la santé », note – il n’est pas le seul – Jean-François Gatelier (Les Engagés).

Frank Vandenbroucke : « Tout est lié à tout »
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« Je pense que nous devons effectivement bien comprendre les préoccupations exprimées, la pression que subissent les médecins généralistes et les urgentistes, ainsi que la complexité financière du système actuel », rétorque le ministre. « La réponse à cela, c’est que nous devons réformer. Nous devons en discuter. Et c’est ce que nous faisons. Ce texte est en réalité le point de départ d’un avant-projet de loi de réforme en matière de soins de santé. »

Une réforme qui inquiète tous les bancs

Malgré les amendements introduits par le ministre, les critiques se multiplient sur la méthode et le calendrier retenus. Elles émanent non seulement de l’opposition, mais aussi de plusieurs membres de la majorité. Frank Vandenbroucke affirme que « tout se fait dans le respect du cadre fixé par l’accord de gouvernement ». Mais pour plusieurs députés, la stratégie suivie – succession de textes préparatoires, consultations bilatérales et allers-retours techniques – peine à convaincre dans un secteur déjà sous tension.

Frieda Gijbels (N-VA) insiste sur le risque de désorganiser les soins ambulatoires en avançant sur les plafonds des suppléments sans avoir achevé la réforme de la nomenclature. Daniel Bacquelaine (MR) se dit quant-à-lui préoccupé par la mise en cause du financement des syndicats médicaux, y voyant un précédent incompatible avec la liberté syndicale : « Ce n’est pas une question de pourcentage, mais de principe. » Du côté des Engagés, Jean-François Gatelier souligne que la réforme ne peut ignorer l’ensemble des soignants. Il appelle à ce que « les représentants des autres professions de santé soient associés aux discussions dès cette phase préparatoire ».

Outre les suppléments d’honoraires – on y reviendra, l’opposition exprime un malaise plus large face à la conduite de la réforme. Irina De Knop (Open VLD) souligne la perte de confiance dans le dialogue avec le secteur, appelant le ministre à ne « pas adopter la loi-cadre » tant que les deux piliers fondamentaux – la réforme de la nomenclature et celle du financement hospitalier – ne sont pas clarifiés. Elle questionne ensuite une méthode perçue comme unilatérale, et s’inquiète d’une possible remise en cause du modèle de conventionnement.

Sofie Merckx (PTB) a, pour sa part, dénoncé la « logique d’économies » à l’œuvre selon elle dans les choix du gouvernement. Elle a rejeté toute hausse des tickets modérateurs ou des prix des médicaments, et a dénoncé une médecine à deux vitesses, notamment induite par les suppléments d’honoraires. « Oui aux réformes, non aux économies », insiste-t-elle, en appelant à des investissements structurels.

La ritournelle des suppléments d’honoraires

Les suppléments d’honoraires sont, pour les députés comme pour les médecins concernés, la véritable pierre d’achoppement. Le sujet a inévitablement monopolisé les discussions.

Plusieurs députés de la majorité expriment des réserves, non sur le principe d’un encadrement des suppléments, mais sur le moment retenu et son articulation avec le reste de la réforme. Frieda Gijbels critique l’idée de fixer des plafonds sans connaître les contours du futur système tarifaire. Elle juge problématique de « fixer à l’aveugle des limites pour une réalité encore inconnue », ce qui inquiète déjà de nombreux prestataires. Daniel Bacquelaine s’élève quant à lui contre ce qu’il qualifie d’« irrationalité » : vouloir encadrer les suppléments dès à présent alors que les bases de la nomenclature et du financement hospitalier seront profondément modifiées d’ici 2028. Il plaide pour que toute mesure sur les suppléments soit liée à l’effectivité de ces réformes. Du côté des Engagés, Jean-François Gatelier appelle le ministre à garantir des compensations substantielles aux hôpitaux et à veiller à ce que la réforme bénéficie aussi aux professionnels non couverts par la nomenclature, comme les infirmières et aides-soignantes. Il plaide pour la tenue d’assises de la santé afin d’assurer une réforme « acceptée, portée par le terrain ».

Le PTB, lui, aborde la question sous l’angle de l’accessibilité. Pour Sofie Merckx, les suppléments d’honoraires constituent un problème structurel qui « met en péril l’accessibilité des soins » et alimente une médecine à deux vitesses. Elle dénonce des situations où « moyennant un supplément, il serait plus facile et plus rapide de voir un médecin, d’obtenir une opération ou une chambre individuelle », même lorsque les frais sont couverts par une assurance hospitalisation : « Ce sont les patients qui ont cotisé ». Elle s’inquiète également du cap fixé par le gouvernement : « Vous dites en réalité que vous n’êtes pas favorable à une suppression des suppléments à terme », regrette-t-elle, estimant qu’un même acte peut coûter deux à trois fois plus cher selon les cas : « Ce n’est pas normal. »

Des impacts économiques non mesurés

Le débat a aussi mis en lumière les incertitudes entourant l’impact de la limitation des suppléments hospitaliers sur le secteur des assurances. Kathleen Depoorter (N-VA) évoque une estimation circulant dans le secteur, selon laquelle les assurances hospitalisation rembourseraient chaque année entre 600 et 800 millions d’euros de suppléments d’honoraires. Elle a interrogé le ministre sur la validité de ce montant et sur les effets d’un plafonnement à 125 % : s’agirait-il d’une économie pour les assureurs, d’un transfert vers les mutuelles, ou d’un manque à gagner pour les hôpitaux ?

Frank Vandenbroucke conteste les extrapolations associées à ce chiffre, tout en confirmant que les services de l’Inami disposaient bien de données précises sur la moyenne des suppléments pratiqués. « Nous savons parfaitement, sur base d’enquêtes, quelle est la somme en jeu. Cette somme peut être exprimée en moyenne sur les honoraires, et cette moyenne est inférieure à 125 % », explique-t-il, en rappelant que le plafond envisagé restait donc supérieur à la pratique actuelle.

Il déplore en revanche ne pas avoir reçu les chiffres désagrégés demandés aux fédérations hospitalières. « Les critiques sont injustes si elles ne s’accompagnent pas de données objectivées. » Kathleen Depoorter maintient ses accusations de flou budgétaire : « Vous travaillez avec des plafonds sans avoir la moindre vue sur les chiffres réels. Vous fonctionnez donc avec un modèle sans fondement. C’est du travail au doigt mouillé. »

Le ministre temporise mais persiste

Face aux critiques multiples, Frank Vandenbroucke a défendu son approche, tout en confirmant plusieurs inflexions. Il rappelle que le texte présenté en commission est un avant-projet et qu’aucune adoption formelle n’est encore intervenue. « Nous sommes au début d’un processus législatif, pas à sa fin », affirme-t-il, en insistant sur la volonté de tenir compte des retours du terrain.

Le ministre a détaillé dix points d’ajustement intégrés à la suite des consultations avec les fédérations hospitalières, les syndicats médicaux et les mutuelles (voir encadré). Il évoque notamment un phasage dans la mise en œuvre, avec des mesures transitoires à partir de 2026 et une entrée en vigueur complète envisagée à l’horizon 2028. Le cadre tarifaire hospitalier serait ainsi redéfini par étapes, en lien avec la réforme de la nomenclature et les travaux en cours sur le financement des hôpitaux.

Concernant le déconventionnement partiel, il confirme son maintien, tout en affirmant qu’il s’agit d’un dispositif transitoire : « Il ne s’agit pas d’un modèle souhaité, mais d’un compromis en attendant un cadre stable. » Sur le volet syndical, le ministre précise que le financement des organisations représentatives fera l’objet d’une concertation spécifique, en lien avec le taux de conventionnement mais aussi avec leur représentativité réelle.

Frank Vandenbroucke souligne également que la réforme ne se limite pas aux seuls médecins : « L’objectif est de construire un modèle cohérent pour l’ensemble des professionnels de santé. » Il annonce que des discussions parallèles seront ouvertes avec les infirmiers, kinésithérapeutes, pharmaciens et autres acteurs hospitaliers, afin d’assurer une convergence des réformes sectorielles.

Enfin, le ministre assure que le texte final tiendra compte des avis attendus du Conseil national de l’assurance maladie-invalidité, des organes techniques et de la Commission de planification, dont les travaux sont prévus au cours de l’été. Il exclut toutefois une pause du processus : « Nous devons avancer, sans précipitation, mais avec clarté. »

Une réforme en sursis politique ?

Si le ministre a tenté de rassurer sur l’absence de précipitation, en insistant sur le fait que le texte n’a encore fait l’objet d’aucune adoption formelle, plusieurs députés ont laissé entendre qu’un réexamen du calendrier pourrait s’imposer. Le débat du 8 juillet a mis en évidence un malaise institutionnel plus large, au sein même des partenaires de l’Arizona, sur la méthode et la temporalité retenues.

La pause politique de l’été pourrait permettre une phase d’apaisement, malgré la marche forcée. La volonté des députés est en tout cas de continuer le débat. « Nous devons mener un débat plus approfondi sur cette problématique et sur les réformes », insiste Irina De Knop. « Je vais consulter mes collègues sur la manière dont nous pouvons organiser cela dans les plus brefs délais. Il est clair que les débats doivent avoir lieu ici, au Parlement, et non uniquement dans les médias. »

« L’invitation à poursuivre la discussion ici très prochainement est donc lancée, monsieur le ministre », a conclu Ludivine Dedonder (PS), présidente de la commission, sans réponse audible de la part du ministre. « Vous pouvez constater l'intérêt de tous ici. Je pense que la transparence ici est préférable aux échos glanés çà et là ou, pire, au fait que les gens manifestent leur mécontentement dans la rue. Oui, ils manifestaient leur mécontentement dans la rue. Il y a, je crois, un peu trop de colère en ce moment. »

Les dix points d’ajustement présentés par le ministre

  1. Maintien de la convention partielle

Le système de conventionnement partiel est confirmé pour les médecins et les dentistes. Le ministre insiste sur la nécessité d’en améliorer la transparence, sans remettre en cause le principe lui-même.

  1. Financement syndical partiellement conditionné

Jusqu’à 20 % du financement des organisations professionnelles sera lié au taux de conventionnement de leurs membres, selon un mécanisme déjà appliqué à d’autres secteurs de soins.

  1. Différenciation entre types de primes

Une distinction sera faite entre les primes à la qualité, ouvertes à tous, et les primes de soutien à la pratique, qui seront réservées aux prestataires conventionnés.

  1. Procédure clarifiée pour la suspension du numéro Inami

En cas de fraude grave ou de retrait du visa, le ministre prévoit une procédure administrative encadrée pour suspendre temporairement le numéro Inami des prestataires concernés.

  1. Souplesse accrue dans les modalités de sortie des accords

Les commissions paritaires conservent la possibilité de négocier des modalités de résiliation supplémentaires, au-delà des dispositions prévues par la loi.

  1. Rôle renforcé des commissions dans les projets d’accords

Lorsqu’un projet d’accord ne provient pas directement des commissions, celles-ci seront néanmoins associées à son élaboration dans le cadre du Comité d’assurance.

  1. Entrée en vigueur différée des règles sur les suppléments

Toutes les dispositions relatives au système de convention et aux suppléments ne s’appliqueront qu’à partir du 1er janvier 2028, afin de laisser le temps à la concertation.

  1. Suppression des possibilités d’intervention anticipée du gouvernement

Les articles qui permettaient à l’exécutif d’agir plus tôt que 2028 sur les suppléments ont été retirés. Le texte prévoit désormais uniquement la possibilité d’ajuster à la hausse certains plafonds, dans un cadre strict.

  1. Encadrement de la digitalisation obligatoire

Les exceptions à l’obligation de digitaliser les échanges entre prestataires et mutualités seront inscrites dans la loi. Des ajustements spécifiques sont prévus, notamment pour les kinésithérapeutes.

  1. Reconduction tacite des accords

Une prolongation automatique des conventions existantes sera désormais possible, sauf opposition explicite des parties.

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Écrit par Laurent Zanella9 juillet 2025

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