Le journal du médecin

GBO : « La grève est un dernier recours. Ce n'est pas le bon combat, pas le bon moment »

Alors que l’avant-projet de loi santé porté par Frank Vandenbroucke suscite la colère d’une partie du corps médical, le GBO a choisi une ligne distincte. Refusant l’appel à la grève lancé par l’Absym, le syndicat francophone des généralistes défend une position nuancée : critique, mais attachée à la concertation. À ses yeux, la réforme soulève des points sensibles, mais ne justifie pas une rupture frontale.

Laurent Zanella

affiche gbo

« La grève est le dernier argument du roi. » Le GBO fait sienne la maxime Regis ultima ratio, également devise des artilleurs militaires belges, pour clarifier sa position : le droit de grève est fondamental, mais il ne doit être exercé que lorsque la situation le justifie pleinement.

« La grève reste un droit – et nous revendiquons ce droit. Mais il ne faut l’exercer que lorsqu’elle devient un devoir », estime Paul De Munck, président honoraire du GBO. « Deux syndicats sur trois – AADM et le Cartel – ont estimé qu’à ce stade nous ne devons pas faire la grève. Est-ce que cela veut dire qu’on ne la fera jamais ? Non. Mais on n’en a pas envie. Et certainement pas pour cet avant-projet amené de manière maladroite. On préfère le dialogue. La concertation existe. Et elle a même précédé le dépôt du préavis de grève. »

Ce positionnement, que certains ont interprété comme un soutien implicite au ministre Vandenbroucke, est au contraire revendiqué comme un acte d’indépendance syndicale. « Réduire le GBO à un syndicat qui ‘soutient le ministre’ simplement parce qu’il ne suit pas le mouvement de grève, c’est une fausse accusation. Une fake news, pour le dire franchement », s’insurge Paul De Munck. « Nous avons soutenu certaines idées, mais nous nous sommes aussi opposés à plusieurs mesures problématiques – et beaucoup d’éléments que nous avons obtenus l’ont été bien avant l’annonce de la grève. »

À ceux qui leur reprochent une ligne trop conciliante, le GBO oppose la constance de son engagement et son rôle historique. « Un syndicat qui passerait son temps à défendre les gouvernements ne tiendrait pas soixante ans », estime le Dr De Munck. Le GBO revendique une ligne ancrée dans l’histoire du syndicalisme médical : liberté, responsabilité, solidarité.

Des avancées obtenues, mais des points sensibles subsistent

L’avant-projet de loi santé déposé par Frank Vandenbroucke a fait l’effet d’un électrochoc dans une partie du corps médical. Au sein du GBO, plusieurs mesures ont immédiatement été identifiées comme problématiques. C’est sur ces points que le syndicat a engagé le dialogue, avant même que le mot « grève » ne soit prononcé par d’autres acteurs.

Parmi les lignes rouges initiales : la suppression de la convention partielle, la menace de suspension de numéro Inami, la liaison entre taux de conventionnement et financement des syndicats, ou encore l’encadrement strict des suppléments d’honoraires. Plusieurs de ces dispositions ont été amendées depuis.

« Le principe de convention partielle est maintenu et encadré, ce qui garantit une meilleure transparence pour les patients », détaille Lawrence Cuvelier, président du GBO. « Des clarifications ont aussi été apportées concernant la suspension temporaire des numéros Inami. Il ne s’agira pas d’un mécanisme automatique, mais d’un cadre balisé, soumis à l’intervention d’une commission. »

Sur d’autres sujets, la négociation reste ouverte. C’est le cas notamment du lien envisagé entre financement syndical et taux de conventionnement, que le GBO juge « inacceptable » et assimilable à une forme de chantage institutionnel. Même chose pour le couplage entre primes à la pratique et statut de médecin conventionné, qui reste une pomme de discorde.

La question des suppléments d’honoraires constitue un autre point de crispation. Le ministre souhaite les plafonner tant en ambulatoire qu’à l’hôpital, mais laisse la porte ouverte à une révision de ces plafonds sur base d’arguments documentés. « Nous avons obtenu des garanties sur la méthode : le dialogue se poursuit, et nous serons entendus, y compris sur les spécificités de la médecine générale », indique Lawrence Cuvelier.

Pour le GBO, ces ajustements successifs démontrent l’utilité d’une stratégie de concertation ferme mais constructive. Et surtout, ils contredisent l’idée selon laquelle seule la grève permettrait d’obtenir des résultats.

Un malaise structurel en médecine générale

Si le projet de loi santé a cristallisé des tensions, il ne fait que révéler un malaise plus ancien et plus profond, selon le GBO, qui se concentre sur la médecine générale. La spécialité souffre d’un manque chronique de reconnaissance, d’un déficit structurel de moyens, et d’une charge de travail croissante que peu de réformes abordent de front, estime le syndicat membre du Cartel. « Les généralistes arbitrent de plus en plus de tensions sociales. On leur demande de tout faire : soigner, écouter, trancher, prescrire, refuser. La charge de travail est énorme. La pénurie est bien réelle », résume Lawrence Cuvelier.

Le constat n’est pas neuf. Cela fait plus de vingt ans que le GBO alerte sur les effets délétères du numerus clausus en médecine. Dès 2005, il dénonçait une pénurie à venir. Pourtant, le nombre de généralistes formés restait bien en deçà des besoins. Des médecins prolongent aujourd’hui leur carrière faute de relève, et des jeunes quittent la profession dès les premières années d’exercice. « Ce ne sont pas des départs motivés par l’appât du gain. C’est l’épuisement qui les pousse à partir », insiste le Dr Cuvelier.

Le syndicat évoque aussi un déclin insidieux de la considération portée à la profession de médecin généraliste. Les accusations de prescriptions excessives, d’abus d’incapacités de travail ou de suivis trop laxistes se multiplient. Pourtant, les chiffres racontent une autre histoire : la prescription d’antibiotiques a fortement diminué en dix ans, tout comme celle des antiacides. Et le recours aux certificats médicaux s’exerce dans un contexte de dégradation des conditions de travail en entreprise. « On reproche aux généralistes d’émettre trop de certificats. Mais à qui la faute ? Quelles sont ces entreprises qui durcissent les règles au point de rendre les gens malades ? » interroge le GBO.

Le syndicat appelle à sortir d’une logique de culpabilisation des prescripteurs pour mieux prendre en compte les déterminants sociaux de la santé. Ce qui suppose une réforme en profondeur, et pas seulement des ajustements techniques sur les primes ou les numéros Inami.

La consultation longue, on oublie ?

« Beaucoup de généralistes, notamment des femmes, prennent 30 minutes par patient. Elles gagnent donc mécaniquement moins que ceux qui en voient quatre à l’heure », rappelle Anne Gillet, vice-présidente du syndicat. « Quand, en fin de consultation, une adolescente vous confie qu’elle est victime d’abus intrafamiliaux, on la garde, on l’écoute, on la protège. Mais ce temps lourd n’est pas reconnu financièrement. »

Le GBO reconnaît que certains médecins recourent au déconventionnement partiel non pas pour surfacturer par appât du gain, mais pour compenser cette absence de reconnaissance du temps passé en consultation longue. Ces médecins ne gagnent pas davantage que leurs confrères plus rapides. Ils tentent simplement d’assurer un équilibre entre exigence qualitative et viabilité économique. « Ce n’est pas un médecin qui demande 180 euros pour un quart d’heure. C’est quelqu’un qui passe 45 minutes, faute de meilleure solution », insiste Anne Gillet.

Mais pour le syndicat, cette situation reste insatisfaisante. Les suppléments ne sont pas un outil équitable : ils sont identiques pour tous les patients, quels que soient leurs revenus, et reposent sur une logique marchande incompatible avec la solidarité qui fonde le système de soins belge.

« Les suppléments, en tant que tels, sont un outil de privatisation. Ils n’ont rien à voir avec la capacité contributive du patient », avertit Pascaline d’Otreppe, administratrice du GBO. « Si on veut défendre une médecine équitable, il faut élargir la reconnaissance des consultations longues dans le cadre conventionné. »

Le GBO attend de la réforme de la nomenclature qu’elle prenne pleinement en compte la complexité croissante des consultations, notamment auprès de publics précaires ou fragilisés. Mais il reste prudent : à ce jour, aucune garantie n’a été donnée que cette dimension sera réellement intégrée.

Défendre un modèle solidaire, pas étatisé

Le GBO a également tenu à rectifier une contre-vérité : le syndicat ne défend pas un modèle centralisé, pas plus qu’une médecine d’état. « Ces accusations relèvent de la caricature, voire de la désinformation », estime Paul De Munck.

« Nous ne défendons ni un modèle unique, ni un carcan idéologique. Nous défendons un système de santé multiple, parce que nos patients sont multiples », reprend Pascaline d’Otreppe. « La relation soignant-soigné repose sur la confiance. Et cette confiance suppose une certaine diversité d’approches. »

Le GBO revendique un pluralisme assumé, qui n’exclut ni la médecine libérale ni les maisons médicales. Il s’oppose en revanche à la privatisation rampante du système, et à la logique assurantielle portée par certains acteurs du secteur. Une dérive qui, selon lui, affaiblirait à terme la liberté réelle des médecins. « Être dépendant d’une assurance privée, ce n’est pas la liberté. C’est la soumission à des logiques commerciales. Et ça, j’ai du mal à comprendre que ce ne soit pas davantage dénoncé dans les médias », souligne la Dre d’Otreppe.

Lawrence Cuvelier insiste de son côté sur l’ancrage culturel du système belge, qu’il décrit comme une « anarchie organisée ». « En Belgique, on n’aime pas trop les injonctions rigides. Le Belge se débrouille. Et malgré tout, on a construit un système relativement performant, sans imposer un modèle unique. Copier le modèle néerlandais, britannique ou suédois n’aurait pas de sens ici. »

Le syndicat se dit attaché à la sécurité sociale comme cadre collectif, perfectible mais fondamental. Il reconnaît les limites du système actuel, mais refuse de céder à un basculement vers une santé à deux vitesses, où les patients les plus fragiles paieraient le prix fort.

Une vigilance revendiquée pour les réformes à venir

Si le GBO a refusé de se joindre au mouvement de grève du 7 juillet, ce n’est pas par naïveté ni par manque de combativité, insistent ses représentants. « Ce n’est pas le bon moment, ni le bon combat », estime Paul De Munck.

En revanche, le syndicat anticipe des tensions bien plus fortes dans les prochains mois, à mesure que se préciseront les réformes du financement hospitalier, de la nomenclature, ou de la structuration de la garde médicale.

« Ce qui nous attend, c’est une pression budgétaire sans précédent : 600 millions d’euros d’économies dans les soins de santé. Ce n’est plus 60 millions. C’est un changement d’échelle », avertit Lawrence Cuvelier.

Le GBO revendique un rôle actif dans les négociations. Il souhaite notamment clarifier le rôle des suppléments d’honoraires, défendre une meilleure reconnaissance du temps médical, et décorréler les incitants à la qualité des logiques de contrôle.

« Nous voulons consacrer l’indépendance du médecin et reconnaître la valeur du soin bien fait, du temps pris, de l’écoute. Ce sont ces éléments-là qui fondent un système de santé durable », insiste Lawrence Cuvelier.

L’ambition du syndicat reste inchangée : soutenir un système accessible, solidaire, centré sur les besoins des patients, tout en garantissant aux soignants les moyens de travailler dans des conditions soutenables.

« Quand un médecin se sent utile, respecté, soutenu, il travaille mieux. C’est cela qui doit guider les réformes », conclut le président du GBO.

En bref : ce que dit le GBO
- Pas de grève, mais pas de silence. Le GBO a refusé de rejoindre l’appel à la grève du 7 juillet. Il préfère la concertation, tout en rappelant que la grève reste un ultime recours.
- Des avancées obtenues. Le syndicat rappelle que plusieurs concessions ont été obtenues de la part du ministre Vandenbroucke : maintien encadré du conventionnement partiel, précisions sur la suspension des numéros Inami.
- Des points de blocage. Le GBO reste opposé au lien entre financement syndical et taux de conventionnement, aux restrictions sur les suppléments d’honoraires en ambulatoire, et au couplage des primes à la convention.
- Une crise plus large. Le syndicat dénonce un mal-être chez les médecins et un manque d’attention envers la médecine générale, une pénurie organisée, une charge administrative démesurée, et un manque de reconnaissance du temps médical.
- Des soins de qualité pour tous. Le GBO plaide pour une réforme de la nomenclature qui valorise les consultations longues, et pour un système solidaire non soumis aux logiques assurantielles ou commerciales.
- Une ligne assumée. Le syndicat rejette les accusations de soumission ou de modèle “étatisé”. Il défend une médecine pluraliste, solidaire, enracinée dans la culture belge.
- Un avertissement budgétaire. La pression financière annoncée (600 millions d’euros d’économies) pourrait, selon le GBO, justifier une mobilisation future bien plus large que celle en cours. Mail nul n’a une boule de cristal.

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Écrit par Laurent Zanella7 juillet 2025

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