Le dernier caisson hyperbare de Wallonie est sous pressionÂ
En pĂ©riphĂ©rie de Charleroi, l'HĂŽpital AndrĂ© VĂ©sale abrite le dernier caisson hyperbare de Wallonie. Pour maintenir un prix raisonnable pour le patient, l'Ă©tablissement le fait fonctionner Ă perte, faute de nomenclature Inami dĂ©diĂ©e. Son mĂ©decin et son infirmier hyperbaristes essaient Ă tout prix de le sauver.Â

Au dĂ©tour d'une porte, dans le dĂ©dale de couloirs de lâHĂŽpital AndrĂ© VĂ©sale (Montigny-le-Tilleul), lâimposante machine Ă©voque ces films de science-fiction spatiale des annĂ©es 2000. Avec plus de 2.000 admissions par an, le dernier caisson hyperbare multiplaces de Wallonie tourne Ă plein rĂ©gime⊠tout en restant structurellement dĂ©ficitaire et sans vĂ©ritable reconnaissance institutionnelle. « Actuellement en Belgique, il y a six caissons diffĂ©rents », rappelle le Dr StĂ©phane LefĂšvre, mĂ©decin du sport et formĂ© en mĂ©decine de la plongĂ©e et en mĂ©decine hyperbare Ă Marseille. « Mais pour toute la partie francophone du pays, on est le seul centre ouvert au public. »
Les autres caissons, dont deux structures militaires, sont essentiellement situĂ©s en Flandre, depuis que le caisson monoplace de LiĂšge a fermĂ© il y a plusieurs annĂ©es. Ă lâinverse de ce qui se fait en France, en Suisse ou en Italie, la mĂ©decine hyperbare nâest pas reconnue comme spĂ©cialitĂ© en Belgique. « On doit se former en Angleterre, en Suisse ou en France. Cette spĂ©cialitĂ© est reconnue lĂ -bas, mais pas ici », rĂ©sume le Dr LefĂšvre. Il nâexiste pas de numĂ©ro Inami spĂ©cifique pour les mĂ©decins hyperbares, et surtout, les sĂ©ances ne sont quasiment pas nomenclaturĂ©es. Seule exception : lâintoxication au monoxyde de carbone, qui bĂ©nĂ©ficie de deux codes Inami, respectivement pour le premier et pour le deuxiĂšme jour de traitement. Mais mĂȘme lĂ , la logique de financement est bancale. « LâInami ne rembourse pas lâoxygĂ©nothĂ©rapie hyperbare en tant que telle », explique le spĂ©cialiste. « Ce qui est remboursĂ©, câest la surveillance mĂ©dicale. Pour toutes les autres indications, il nây a pas de remboursement du tout. »
ConcrĂštement, le caisson dâAndrĂ© VĂ©sale fonctionne donc Ă perte. Le coĂ»t rĂ©el dâune sĂ©ance est Ă©levĂ© (car liĂ© Ă du personnel spĂ©cialisĂ©, la maintenance, la sĂ©curitĂ©, la mobilisation de mĂ©decins et dâinfirmiers pendant plusieurs heures), mais le centre a fait le choix de rester Ă un coĂ»t « socialement acceptable » pour les patients. « On demande 39 euros par sĂ©ance, ce qui est ridicule par rapport au coĂ»t rĂ©el dâune sĂ©ance en mĂ©decine hyperbare », commente le Dr LefĂšvre. Depuis son arrivĂ©e en 2017, lâactivitĂ© a pourtant nettement augmentĂ©. « On a progressivement fait grandir le service et, actuellement, on tourne aux alentours de 2.500 sĂ©ances par an », indique-t-il. Le caisson de VĂ©sale figure ainsi parmi les centres les plus actifs du pays. LâhĂŽpital assume cependant un dĂ©ficit structurel, lĂ oĂč dâautres Ă©quipements lourds (IRM, PET-scan) bĂ©nĂ©ficient de mĂ©canismes de financement ou de mutualisation entre hĂŽpitaux.
Un placebo trÚs compliqué à simuler
Sur le plan scientifique, le dossier nâest pas simple. Le KCE a rĂ©alisĂ© une Ă©valuation critique de la littĂ©rature et mis en avant, Ă lâĂ©poque, lâabsence dâessais contrĂŽlĂ©s randomisĂ©s solides pour Ă©tayer lâefficacitĂ© clinique de nombreuses indications du caisson hyperbare. « Le KCE a fait son rapport en disant : âil nây a pas dâĂ©tudes randomisĂ©es, ou en tout cas pas assez, mĂȘme si certaines Ă©tudes montrent un effet significatif sur des paramĂštres de cicatrisation ou dâamĂ©liorationâ. Câest lâĂ©tat des lieux aujourdâhui », rĂ©sume le mĂ©decin hyperbariste.
La difficultĂ© mĂ©thodologique est rĂ©elle : comment faire un « placebo » de caisson hyperbare, alors que le patient ressent la montĂ©e de pression, doit compenser ses oreilles, a la sensation physique dâĂȘtre enfermĂ© dans une « boĂźte de conserve » pressurisĂ©e ? « Pendant longtemps, câĂ©tait quasiment impossible de faire des Ă©tudes en double aveugle, alors que pour un mĂ©dicament, il suffit dâune gĂ©lule active et dâune gĂ©lule de sucre », illustre le Dr LefĂšvre.
Depuis quelques annĂ©es, des protocoles dits « sham » ont toutefois Ă©tĂ© Ă©laborĂ©s et validĂ©s, notamment dans des pays qui disposent de traditions plus anciennes en mĂ©decine hyperbare. Les patients sont installĂ©s dans le caisson, certaines sensations (bruit, lĂ©gĂšres variations de pression) sont reproduites, mais sans atteindre les pressions thĂ©rapeutiques et sans administration dâoxygĂšne Ă haute pression. « On arrive mĂȘme Ă leurrer des plongeurs militaires ou professionnels », se rĂ©jouit le spĂ©cialiste. « De ce fait, des Ă©tudes contrĂŽlĂ©es commencent Ă sortir sur toute une sĂ©rie dâindications et elles montrent une certaine efficacitĂ©. »
Sur-pression et oxygÚne pur conditionnent un « super sang »
Sur le plan physiologique, le principe reste relativement simple : combiner une augmentation de pression et une fraction inspirĂ©e dâoxygĂšne trĂšs Ă©levĂ©e. « On met les patients âsous pressionâ Ă 2,5 Ă 3 atmosphĂšres, avec de lâoxygĂšne pur », dĂ©taille le mĂ©decin hyperbariste. « La pression partielle dâoxygĂšne dans le sang est alors multipliĂ©e, ce qui crĂ©e une hyperoxie forte. Elle a un effet anti-inflammatoire, rĂ©duit les cytokines et entraĂźne une vasoconstriction qui diminue les ĆdĂšmes. » Cet effet dĂ©congestionnant est parfois utilisĂ©, par exemple, pour rĂ©duire un ĆdĂšme majeur rendant une chirurgie impossible ou trop risquĂ©e.
MalgrĂ© son important volume dâactivitĂ©s, la pĂ©rennitĂ© du caisson wallon est mise en danger. Une pĂ©tition lancĂ©e par lâĂ©quipe a dĂ©jĂ recueilli environ 2.700 signatures. Le service a pris contact directement avec des parlementaires fĂ©dĂ©raux. « On savait quâil y avait un risque de fermeture pour lâun des caissons belges », explique le praticien. « Les politiques ne se rendaient pas bien compte quâon Ă©tait le dernier caisson pour tout le sud du pays. » Les discussions ont dĂ©bouchĂ© sur des questions posĂ©es au ministre de la SantĂ© Ă la Chambre le 7 octobre, forçant le dĂ©bat au-delĂ de la seule logique budgĂ©taire.
Trois pistes de financement
Quelles pistes de financement ? Le mĂ©decin en distingue trois. La premiĂšre passerait par une nouvelle Ă©valuation scientifique par le KCE, qui tiendrait rĂ©ellement compte des Ă©tudes contrĂŽlĂ©es publiĂ©es ces derniĂšres annĂ©es, et par une Ă©ventuelle adaptation de la nomenclature Inami. Il nây croit toutefois guĂšre Ă court terme : « MĂȘme si le KCE relance une Ă©tude, ce ne sera pas pour cette lĂ©gislature », constate-t-il. Une deuxiĂšme voie serait lâintervention des mutuelles via lâassurance complĂ©mentaire, Ă lâimage de ce qui existe pour lâostĂ©opathie, la chiropraxie ou lâacupuncture. « Si, par exemple, une mutuelle dĂ©cidait de rembourser jusquâĂ dix sĂ©ances par an en complĂ©mentaire, combinĂ©es aux sĂ©ances Ă©ventuellement prises par lâInami, le patient qui doit faire trente sĂ©ances pour une surditĂ© brusque aurait dĂ©jĂ une douzaine de sĂ©ances remboursĂ©es », illustre le Dr LefĂšvre. « On serait presque Ă la moitiĂ©. Ce serait dĂ©jĂ un signal fort. » Enfin, il Ă©voque la possibilitĂ© dâune mutualisation des coĂ»ts entre les rĂ©seaux hospitaliers qui utilisent le caisson, sur le modĂšle des collaborations autour des PET-scan ou dâautres Ă©quipements lourds. « On a un Ă©quipement qui nâexiste nulle part ailleurs en partie francophone, quâon fait tourner pour des indications aiguĂ«s et chroniques », rappelle-t-il. « On pourrait imaginer une rĂ©flexion en termes de mutualisation, mais ça, ça se discute au niveau politique et entre institutions. » En lâabsence de solution, le risque est double : une perte de chance de guĂ©rison pour les patients wallons et surcoĂ»t global pour le systĂšme.
Pour les mĂ©decins de premiĂšre ligne et les spĂ©cialistes hospitaliers, le message du responsable du caisson dâAndrĂ© VĂ©sale est clair : ne pas hĂ©siter Ă demander un avis. « On est disponibles 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Il y a un rĂŽle de garde tout le temps », insiste le Dr LefĂšvre. Quâil sâagisse dâintoxications au CO, dâaccidents de dĂ©compression, de surditĂ©s brusques, de lĂ©sions radiques ou dâulcĂšres rebelles, le centre prĂ©fĂšre ĂȘtre sollicitĂ© tĂŽt plutĂŽt que trop tard. « Le plus important, câest dây penser », conclut-il. « Beaucoup de patients nous arrivent aprĂšs des annĂ©es dâerrance thĂ©rapeutique. Alors que le caisson, sans ĂȘtre une solution miracle, pourrait parfois changer la trajectoire sâil est intĂ©grĂ© plus tĂŽt dans la prise en charge. »
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