Psychothérapie

« En tant que soignants, nous devrions être un peu plus bienveillants les uns envers les autres. »

Médecins en difficulté s’attend cette année à recevoir plus du double d’appels qu’en 2024, indique la Dre Ann-Marie Morel, médecin de confiance auprès de Médecins en difficulté. De plus en plus de médecins semblent avoir besoin d’une oreille attentive.

Sur l’ensemble de l’année 2024, il y a eu 600 appels. « À la mi-2025, nous en étions déjà à 700 », indique la Dre Ann-Marie Morel. Elle est pneumologue-oncologue, psychothérapeute et médecin de confiance auprès de Médecins en difficulté (Arts in Nood en Flandre). Le nombre plus élevé d’appels s’explique en partie par une meilleure notoriété de Médecins en difficulté. Mais il est incontestable que davantage de médecins ont besoin d’une oreille attentive. Ann-Marie Morel

« Nous ne devons pas recevoir plus de respect que quiconque, mais nous voulons aussi être traités avec respect. Et cela fait parfois défaut. »

Le journal du Médecin (Artsenkrant) : L’actualité médicale en 2025 a été dominée par la loi de réforme du ministre Vandenbroucke. Cela explique-t-il peut-être le nombre croissant d’appels ?

Ann-Marie Morel : Cette loi de réforme crée bien sûr beaucoup d’incertitude : les médecins se demandent ce qu’ils pourront encore faire ou non à l’avenir. Vandenbroucke veut aussi que les généralistes ne prescrivent plus de scanners du bas du dos. Un généraliste se dit alors : j’ai été formé pour cela, pourquoi ne pourrais-je pas le faire si j’estime que c’est utile ? Les médecins ressentent surtout cela comme un manque de confiance dans leurs compétences et dans leurs bonnes intentions. Et cela touche encore davantage.

La montée de l’agressivité envers les soignants pèse également très lourd. Les patients peuvent être assertifs, mais l’agression est inacceptable. En tant que médecins, nous avons d’autant plus de mal avec cela que nous sommes tous dans le registre du soin. Quand une personne avec qui vous avez une relation thérapeutique devient agressive, vous vous retrouvez, comme médecin, en grand écart : vous voulez vous défendre contre cette agressivité, mais vous voulez en même temps continuer à prendre soin de cette personne. Qu’on soit clair : même en tant que médecin, vous n’avez pas à tolérer l’agression. Vous avez toujours le droit de mettre fin à une relation thérapeutique. Et c’est aussi là-dessus que nous voulons un peu « empowerer » les médecins.

Les fusions entre hôpitaux sont également une raison de nous contacter. Quand des hôpitaux fusionnent, cela signifie de nouvelles structures, de nouveaux règlements généraux et financiers, la fusion de services dont il ne peut rester qu’un seul chef de service… Il arrive aussi que des hôpitaux qui étaient concurrents fusionnent, et cette dynamique sous-jacente ne se modifie pas d’un simple coup de baguette magique.

Comment abordez-vous ces tensions liées aux fusions ?

Nous allons avant tout écouter et accompagner. À l’avenir, nous souhaiterions aussi entrer en dialogue beaucoup plus tôt avec la direction hospitalière. Aujourd’hui, les médecins ne viennent vers nous que lorsqu’ils sont vraiment en détresse. Un hôpital qui envisage une fusion pourrait peut-être déjà prendre contact à titre préventif avec Médecins en difficulté, car nous savons comment une direction ou un management hospitalier peut aborder ces tensions de manière proactive.

Lorsqu’un médecin vient vers nous, c’est toujours dans la confidentialité la plus totale. Il nous arrive de voir plusieurs médecins d’un même hôpital, voire d’un même service. Mais chaque médecin pense qu’il est le seul à avoir un problème.

Parfois, un médecin me dit qu’il ou elle a confié à un collègue avoir pris contact avec Médecins en difficulté, sans que ce collègue n’aille plus loin, alors que ce même collègue nous a contactés au sujet de la même situation ! C’est dommage, car si les collègues en parlaient plus ouvertement entre eux, ils seraient la meilleure ressource pour un confrère en difficulté.

« Si nous investissons neuf ans dans la formation d’un médecin, il faut veiller à ce qu’il n’ouvre pas ensuite un magasin de fleurs simplement parce que là, il n’a pas à suivre cent mille règles et peut être son propre patron. » 

Pourquoi ne le font-ils pas alors ?

C’est là que réside le grand tabou. Il existe cette idée – renforcée par des émissions comme Topdokters – que les soignants sont des surhommes, que nous devons avoir une plus grande capacité de résistance que n’importe quel autre être humain. Il y a aussi la peur d’être perçu comme le maillon faible du groupe. Parce que tout le monde, dans le service, a l’air de tenir le coup.

Nous pourrions donc, en tant que soignants, être un peu plus bienveillants les uns envers les autres. Nous faisons énormément pour les autres, mais nous nous soucions trop peu les uns des autres. Ou parfois, nous voyons bien qu’un collègue est en difficulté, mais nous pensons : qu’il se débrouille. Et ça, j’ai du mal à le comprendre.

Y a-t-il un profil particulier de médecin que vous voyez plus souvent ?

Ce sont souvent les médecins les plus passionnés qui se heurtent les premiers au mur. Ils travaillent dans une association où l’on a décidé que le turnover devait augmenter – ils ne disposent plus d’un quart d’heure par patient, ce doit être réglé en dix minutes. Eux estiment que ce n’est pas de la bonne médecine et ne veulent pas être ce genre de médecin. Alors que leur collègue qui boucle une consultation en six minutes pense qu’il fait du bon travail.

La jeune génération a entre-temps appris à accorder de l’attention au psychosocial. Mais cela crée parfois des tensions avec l’ancienne génération, qui a tendance à revenir au fameux “de mon temps”. Cela ne nous aide pas à avancer. “De mon temps”, après ma journée de travail, j’enchaînais avec une garde de nuit, suivie à nouveau d’une journée complète. Et si j’ai honnêtement le courage de l’admettre : quand une famille demandait alors un entretien, je n’ai pas toujours répondu avec tout le calme et l’empathie souhaitables. Rien d’étonnant quand on travaille depuis plus de 24 heures d’affilée. Donc, “de mon temps”, ce n’était certainement pas toujours mieux…

Le psychologue de première ligne est devenu plus accessible. Est-ce aussi une solution pour les médecins en difficulté ?

Pour quelqu’un qui traverse une période difficile, toute forme d’aide est bonne à prendre. Si votre voisine vous demande comment ça va et que vous avez l’ouverture de répondre honnêtement que vous avez passé une journée épouvantable, cela aide déjà.

Avec les psychologues de première ligne, il y a toutefois un problème de disponibilité. Il faut parfois des semaines avant de pouvoir obtenir un rendez-vous. Quand un médecin fait appel à Médecins en difficulté, nous veillons à contacter ce confrère dans les 24 heures pour fixer un entretien. Si vous laissez passer six semaines, il aura déjà remis sa cape de super-héros.

En outre, ces psychologues parlent souvent à partir d’un cadre de référence qui n’est pas adapté à l’activité médicale. Ils vont vous conseiller de « garder vos limites ». C’est un conseil bien intentionné, mais qu’en faites-vous si, au moment où vous voulez quitter les urgences, on vous amène encore une victime de la route ?

Ce que font les médecins peut avoir d’énormes conséquences – pas « j’ai oublié quelque chose », mais « quelqu’un est décédé ». Le stress et la responsabilité qui sont les nôtres sont supérieurs à la moyenne. Et si, en plus, il n’y a pas de respect de la part du patient, des collègues, des autorités, qui laissent entendre que la plupart des médecins sont des chasseurs d’honoraires, alors les médecins s’épuisent. Nous ne devons pas recevoir plus de respect que quiconque, mais nous voulons aussi être traités avec respect. Et cela fait parfois défaut.

Les autorités répondent alors : « Il s’agit d’argent public, il faut du contrôle » ?

Qu’il y ait des règles et du contrôle, c’est tout à fait légitime. Il faut écarter les fraudeurs, mais il faut bien se rendre compte qu’il s’agit d’un très petit groupe. Au lieu de s’attaquer directement à ces outliers, on adopte des mesures qui touchent tout le monde. Et tous ceux qui font de leur mieux et n’ont jamais eu l’intention de tricher sont mis dans le même sac. Ce n’est pas juste.

L’essentiel – aussi pour les pouvoirs publics – c’est qu’un médecin qui ne va pas bien délivre des soins insuffisamment sûrs. Si vous êtes en surstress, que vous ne vous sentez pas bien là où vous travaillez et que, par exemple, les tensions sont permanentes au sein de votre service, vous n’êtes pas à 100 % avec votre patient. Et si le patient précédent a été malpoli avec vous, cela reste dans votre « sac à dos » quand le suivant entre dans le cabinet.

La différence entre un soignant passionné et un soignant épuisé est, pour le patient, un monde de différence. Nous pensons qu’il faut agir de manière préventive et ne pas attendre qu’un médecin nous contacte. Durant la formation, nous devons rendre les médecins plus résilients. Et nous devons aussi convaincre les autorités de l’importance de cet enjeu.

On peut bien dire que nous avons besoin de plus de médecins. Mais si nous investissons neuf ou douze ans dans leur formation, il faut aussi veiller à ce qu’ils ne décrochent pas ensuite pour ouvrir un magasin de fleurs, simplement parce qu’ils n’y doivent pas suivre cent mille règles et peuvent y être leur propre patron.

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Écrit par Erik Derycke24 décembre 2025
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