L’intelligence artificielle au service de la pneumologie
INTELLIGENCE ARTIFICIELLE Le Pr Julien Guiot, médecin pneumologue au CHU de Liège spécialisé dans les pathologies interstitielles et vasculaires pulmonaires, nous partage son expertise dans le champ de l’application de l’intelligence artificielle à l’imagerie pulmonaire en 2025.
Professeur à l’Université de Liège et auteur de nombreuses publications sur le sujet, il a accepté de nous transmettre ses dernières recommandations afin de guider l’implémentation d’outils pratiques futurs.
Devenue ubiquitaire dans notre société, l’IA et son utilisation tous azimuts fait cependant encore face à de nombreux détracteurs. Le passage de l’ère de l’analogique à celle du numérique, d’un switch d’une imagerie interprétée à qualifiée, ne fait pas encore l’objet de l’unanimité même au sein du corpus médical. L’objectif princeps du présent article est de présenter les principales applications pratiques en imagerie thoracique de l’IA.
Le journal du Médecin: quelle place occupe à ce jour l’IA dans votre pratique quotidienne ?
Pr Julien Guiot: Plusieurs axes de travail sont à distinguer, dont la récolte automatisée des données présentes dans les dossiers médicaux. Pour ce faire, plusieurs outils d’aide existent, dans le but d’établir le diagnostic de maladies fréquentes et rares. Ces méthodes restent à ce jour cantonnées au stade de la recherche scientifique et ne font pas encore l’objet d’une utilisation clinique (absence de validation par l’EMA/AFMPS).
Dans le champ des épreuves fonctionnelles respiratoires, des algorithmes d’interprétation existent déjà, tout comme nous pouvons le retrouver dans des outils cliniques pleinement implémentés (typiquement l’interprétation standardisée des ECG).
Pouvez-vous nous détailler les outils qui font l’objet de vos travaux ?
L’avènement d’une technique spécifique d’analyse algorithmique d’imagerie médicale, appelée radiomique, permet de multiples avancées pour une meilleure compréhension de diverses pathologies pulmonaires. Il s’agit probablement, à ce jour, d’un des outils les plus pertinents dans l’analyse des images parenchymateuses pulmonaires.
L’approche radiomique permet d’identifier des patterns lésionnels caractéristiques retrouvés dans certaines pathologies. Elle se base sur l’étude des images en intégrant la forme, l’intensité et la texture afin d’en extraire une signature spécifique. Par ce biais, le praticien est à même de déterminer des lésions d’intérêt dans le diagnostic et le monitoring des patients. C’est actuellement le cas dans diverses pathologies interstitielles (telles que la fibrose pulmonaire idiopathique ou l’atteinte pulmonaire secondaire à la sclérodermie), mais également et surtout en oncologie où la radiomique peut potentiellement permettre de déterminer un sous-type histologique néoplasique et les mutations potentielles qui y sont associées.
La radiomique se cantonne-t-elle au champ diagnostic ?
Le but n’est pas seulement d’établir un diagnostic, mais bien d’établir des modèles prédictifs et pronostiques de réponse à de potentielles thérapies, ainsi qu’aux effets secondaires qui s’y apparentent. La radiomique a d’ailleurs déjà fait ses preuves dans la prédiction de l’occurrence des CIP (Checkpoint Inhibitor Pneumonitis) chez les patients oncologiques traités par immunothérapie spécifique.
Pour mieux appréhender le patient dans sa globalité, il importe d’associer à la fois les données biologiques, radiologiques, mais également les éventuelles données histo-pathologiques et génomiques afin de proposer un traitement « sur mesure » et d’obtenir un meilleur phénotypage des pathologies.
Que répondriez-vous aux détracteurs d’une plus large utilisation de l’IA dans le domaine de la pneumologie ?
Considérant la très grande variabilité intra- et interobservateurs limitant le caractère reproductif de l’interprétation des images radiologiques (écueil principal aux techniques actuelles d’analyse d’imagerie), la radiomique offre une réelle plus-value en permettant une lecture standardisée et reproductible évitant les biais d’interprétation connus de la pratique clinique. Elle permettra, à l’avenir, d’élargir le champ diagnostique en mettant le praticien en alerte sur diverses anomalies sur lesquelles il ne s’était initialement pas focalisé (telles qu’une lésion mammaire suspecte, un risque ostéoporotique spécifique, un score calcique coronaire interpellant).
Quels sont les autres outils actuellement à l’étude ?
De nombreuses autres approches impliquant l’IA font l’objet de recherches scientifiques. Par exemple, le système ICOLUNG a montré un intérêt chez les patients atteints de covid-19 ou même de sclérodermie avec atteinte pulmonaire. Dans le domaine interventionnel, plusieurs outils sont en cours de développement. L’aide à la navigation, la détection de nodules endobronchiques via étude d’ultrasons connait un véritable essor, avec pour objectif d’identifier et traiter directement des lésions néoplasiques in situ.
« La radiomique permettra, à l’avenir, d’élargir le champ diagnostic du praticien. »

Comment gérer, en pratique clinique, les multiples sollicitations des patients qui utilisent l’IA ?
Parmi les défis auxquels les soignants font face, vient de fait la question du NLP (Natural Language Processing) ou plus communément appelé assistant personnel IA. En pratique de première ligne, l’objectif reste de parvenir à combiner l’implémentation de ce NLP aux données cliniques relevées par le médecin, tout en ne faisant pas fi des données potentiellement pertinentes apportées par ces systèmes. Pour résumer, l’idée est de combiner la symptomatologie du patient, des tests fonctionnels objectifs (mesures métriques reproductibles) et une imagerie intégrée par une analyse standardisée via l’IA.
Pratiquement parlant, nos patients utilisent déjà l’IA de manière autonome et non encadrée, viennent en consultation avec des analyses, des croyances, parfois des vérités, d’où l’intérêt d’une médecine de première ligne mieux sensibilisée et familiarisée à cette pratique à deux vitesses.
En parallèle, les médecins ultra-spécialisés, libérés des tâches les plus répétitives, auront plus de temps pour se consacrer à des missions plus exigeantes, toujours dans l’optique d’un meilleur phénotypage. Le télémonitoring, à la base d’une médecine qui se veut de plus en plus qualitative, personnalisée et portée sur nos besoins actuels, se doit également d’être développée.
Quelle place occupera l’IA dans la médecine de demain ?
Rappelons qu’à ce stade, l’utilisation de l’IA reste surtout limitée au champ de la recherche clinique. Cependant, de nombreuses études in silico nous permettent de mieux considérer l’intérêt de ces outils dans une optique de développement clinique et curatif futur. Les enjeux commerciaux et la concurrence industrielle étant considérables, il y a fort à parier que les lobbys pousseront pour une utilisation à plus large échelle, y compris dans le domaine de la santé.
Quel est votre message principal ?
L’humain restera au centre de la relation thérapeutique, condition sine qua non malgré le développement de toutes ces pratiques informatisées. Les médecins de première et de seconde ligne resteront des garde-fous incontournables. La médecine tertiaire, quant à elle, est amenée à largement évoluer.