Dopage : que penser des contaminations accidentelles ?
SPORT Chez les athlètes, l'excuse des contaminations accidentelles bat son plein pour se dédouaner de certains contrôles antidopage positifs.
La lutte antidopage est un fiasco. Tel est l'avis du Dr Jean-Pierre de Mondenard, médecin français du sport, responsable des contrôles antidopage sur le Tour de France de 1973 à 1975 et auteur de nombreux livres et articles de revue. « Les laboratoires cherchent des produits que les sportifs ne prennent plus et les sportifs prennent des substances que les laboratoires ne trouvent pas », dit-il. Et d'ajouter que s'il appartient à l'Agence mondiale antidopage (AMA), de promouvoir, coordonner et superviser la lutte contre le dopage, ce sont les fédérations sportives, par l'intermédiaire de leurs commissions de sanctions « indépendantes », qui continuent à sanctionner les athlètes en cas de violation des règles que l'AMA a édictées dans son Code mondial antidopage. Or, les fédérations voudraient limiter les déflagrations et les effets collatéraux provoqués par les cas de dopage. Leur stratégie consisterait à donner le sentiment qu'elles agissent mais, parallèlement, à coincer le moins d'athlètes possible. L'AMA peut toutefois interjeter appel, mais le fait avec parcimonie.
Un nouveau paramètre vient compliquer encore la lutte antidopage : une multiplication des cas de positivité à une substance interdite face auxquels les sportifs épinglés font valoir l'argument de la contamination accidentelle. Les techniques analytiques de détection permettent désormais de débusquer de très faibles doses - parfois de l'ordre du picogramme (10-12g) - de divers produits figurant sur la liste de l'AMA. Pour nombre de substances, le dopage ne se réfère pas à une donnée quantitative comme le taux d'hématocrite pour juger d'un apport exogène d'EPO, mais à une donnée qualitative - la seule détection du produit incriminé représente une infraction. Autre élément : depuis plus de 20 ans, il est démontré que différentes substances dopantes peuvent effectivement pénétrer dans l'organisme par contamination accidentelle. Ainsi, elles peuvent être transmises d'un individu à un autre à la suite d'un échange de fluides corporels, entre autres via un baiser buccal, un cunnilingus, une fellation ou un rapport sexuel. De même, un contact cutané plus ou moins prolongé pourrait parfois suffire, notamment lors d'un massage à mains nues (cocaïne, stéroïdes anabolisants…). En outre, la contamination peut trouver son origine dans la consommation de viandes provenant d'animaux eux-mêmes dopés au moyen de stéroïdes anabolisants ou de SARMs (Selective Androgen Receptor Modulators), médicaments apparus en 1998 qui miment les effets anabolisants des stéroïdes sans en avoir les effets androgéniques. Enfin, l'absorption de compléments alimentaires non certifiés, « pollués » volontairement par des apports additionnels non mentionnés, sont également à mettre sur la sellette. « Comme les compléments alimentaires n'ont jamais fait avancer un escargot plus vite, certains laboratoires y ajoutent des substances dopantes à l’insu des consommateurs », rapporte Jean-Pierre de Mondenard.
Le doute est roi
La possibilité d'une contamination par la consommation de viande est connue depuis longtemps déjà. En 1983, Joop Zoetemelk, vainqueur du Tour de France en 1980, invoqua cette circonstance pour se dédouaner d'un contrôle positif à la nandrolone. Cette justification ne pouvait être admise, car la concentration du stéroïde anabolisant relevée dans ses urines était trop élevée. Son médecin évoqua alors une production endogène de nandrolone. « Cette hypothèse fut jugée fantaisiste », explique le Dr de Mondenard. « Il fut néanmoins établi quelques années plus tard que certains stéroïdes anabolisants, telles la nandrolone et la boldénone, font l'objet d'une sécrétion endogène. »
C'est ici que notre interlocuteur évoque une carence endémique des instances antidopage. Les études scientifiques qu'elles diligentent ne visent jamais à établir des seuils qui permettraient de distinguer un acte de dopage d'une contamination accidentelle, de sorte que le doute est souvent roi, que de plus en plus d'athlètes s'engouffrent dans la brèche et que des innocents peuvent être condamnés et des tricheurs, relaxés.
En mars 2024, le tennisman italien Jannik Sinner, actuel deuxième au classement ATP, a été contrôlé deux fois positif au clostébol. Ce stéroïde anabolisant peut être administré selon différentes modalités, notamment sous forme de crème topique ou de spray afin de favoriser la cicatrisation de plaies. Pour sa défense, Sinner avança que son kiné l'avait massé après avoir utilisé un spray contenant du clostébol pour soigner une coupure à la main. Le tennisman fut d'abord blanchi par la Fédération internationale de tennis. L'AMA voulut ensuite interjeter appel de cette décision devant le Tribunal arbitral du sport (TAS), à Lausanne, et y réclamer une suspension de deux ans. Finalement, elle fit marche arrière après avoir reconnu le caractère accidentel de la contamination et convenu avec Sinner d'une suspension de trois mois, estimant la responsabilité de ce dernier engagée dans la gestion de ses rapports avec son entourage.
Se référant à cette affaire, le Dr de Mondenard précise qu'en Italie comme dans beaucoup d'autres pays, les laboratoires pharmaceutiques sont tenus de faire figurer clairement dans la notice de certains médicaments qu'il s'agit de substances dont la consommation contreviendrait au règlement antidopage. « Il faut être aveugle pour ne pas voir ces mises en garde », dit-il.
Épidémie d'ébats amoureux
Les contaminations alimentaires par des morceaux de viande « dopée » ou des compléments nutritionnels trafiqués ont régulièrement été invoquées par les athlètes. Ce fut notamment le cas d'Alberto Contador durant le Tour de France 2010. Le 21 juillet, l'Espagnol avait subi un contrôle antidopage qui s'était avéré positif en raison de traces infinitésimales de clenbutérol (50 picogrammes), anticatabolisant non hormonal destiné initialement aux affections bronchopulmonaires spastiques chez les chevaux de course. La Fédération royale espagnole de cyclisme l'acquitta en février 2011, mettant fin à sa suspension provisoire qui courait depuis août 2010. Appel de l'AMA et de l'UCI devant le TAS. Verdict : deux ans de suspension avec effet rétroactif au 25 janvier 2011, retrait de ses victoires dans le Tour de France 2010 et le Giro 2011. « Contador a été incapable de remonter à l'origine de la contamination », commente le Dr de Mondenard. « Cela étant, l'USADA, l'agence américaine antidopage, rapporte des cas où l'origine de la contamination a pu être identifiée et où des athlètes ont été blanchis. »
Aujourd'hui, les excuses ou pseudo-excuses qui ont le vent en poupe pour essayer d'échapper aux sanctions pour dopage ont trait à des contaminations par transmission de fluides corporels.
Aujourd'hui, les excuses ou pseudo-excuses qui ont le vent en poupe pour essayer d'échapper aux sanctions pour dopage ont trait à des contaminations par transmission de fluides corporels. « On assiste à une épidémie d'ébats amoureux », dit avec humour Jean-Pierre de Mondenard. Ainsi, la curleuse canadienne Briane Harris a été disculpée par le TAS le 14 janvier 2025 alors que des traces de ligandrol, un SARM, avaient été détectées dans ses urines. Sa défense : une relation intime avec son mari dont elle ignorait qu'il prenait du ligandrol. La première affaire de ce genre très médiatisée concernait le tennisman français Richard Gasquet, contrôlé positif à la cocaïne peu avant le Masters de Miami en 2009. Il sera absous par le TAS après avoir affirmé qu'il avait embrassé, dans une boîte de nuit, une femme qui en avait consommé. On pourrait citer de nombreux autres cas plus récents, comme ceux de la fleurettiste française Ysaora Thibus (ostarine), de la canoétiste canadienne Laurence Vincent-Lapointe (ligandrol), de la triathlète britannico-suisse Imogen Simmonds (ligandrol) ou encore de la jockey suisse Sybille Vogt (cocaïne). Les trois premières furent innocentées par le TAS et la quatrième vit sa suspension réduite.
Analyse capillaire
Selon le principe de la responsabilité objective figurant dans le Code mondial antidopage depuis le 1er janvier 2004, chaque sportif est objectivement responsable des substances décelées dans ses prélèvements. Quand une substance interdite y est identifiée, il y a violation des règles antidopage même si le sportif a fait preuve de négligence ou n'a pas agi intentionnellement. Toutefois, ce principe fut amendé en février 2008 pour tenir compte de « circonstances exceptionnelles ». De quoi assurer une certaine équité. Mais, effet pervers, s'est ainsi dessiné un créneau propice à la contestation, justifiée ou non, qui porte en germe une inflation de jugements d'appel devant le TAS. « Les sportifs suspectés de dopage ont désormais beau jeu de créer le doute. Les modes de contamination dite accidentelle étant maintenant bien connus, les excuses invoquées deviennent irrecevables à mes yeux », insiste le Dr de Mondenard.
Depuis la fin des années 1970, la toxicologie judiciaire recourt en routine à l'analyse des cheveux, des poils ou des ongles comme « marqueur chronologique » permettant de déterminer si l'exposition à certaines substances a été unique ou répétée. C'est en faisant appel à une analyse capillaire que Ysaora Thibus et Laurence Vincent-Lapointe, par exemple, ont eu gain de cause devant le TAS. Si la quantité d'un produit réputé dopant est faible dans les urines, l'analyse capillaire permet généralement de démêler l'écheveau. Toutefois, des substances comme l'hormone de croissance ou l'EPO (trop grosses molécules) ne répondent pas à ce type d'analyse, contrairement aux stéroïdes anabolisants, aux SARMs ou encore aux stimulants - cocaïne, amphétamines... Dans le cas d'une transmission de fluides corporels, l'analyse des cheveux du conjoint ou de la conjointe est également nécessaire.
Pourquoi l'AMA ne prévoit-elle pas les tests capillaires dans l'arsenal des contrôles antidopage ? La réponse du Dr de Mondenard interpelle : « Elle veut maîtriser les moyens de contrôle pour pouvoir éventuellement 's'arranger avec les flacons'. »
>> Pour en savoir plus: https://dopagedemondenard.com/category/dopage/