JM Academy - Syndromes gastro-intestinaux
Le traitement du syndrome de l’intestin irritable
Le syndrome de l’intestin irritable (SII) est un tableau clinique prototype et dont la cause tient dans des facteurs à la fois biologiques et psychosociaux. Le traitement doit donc idéalement agir à la fois sur l’ensemble de ces facteurs. Sur le plan médicamenteux, il n’est pas toujours simple de trouver le traitement qui sera efficace, faute de marqueurs biologiques.

La Pre Sara Nullens (UZ Antwerpen et groupement hospitalier ZAS) entame le sujet par des conseils sur la manière la plus appropriée d'accompagner un patient présentant des symptômes de type SII-like.
Comment éviter que le patient continue à souffrir de tels symptômes et revienne donc régulièrement en consultation ? Plusieurs études ont déjà montré l’existence d’une relation inversement proportionnelle entre la qualité de l'interaction médecin-patient et le nombre de consultations répétées chez des prestataires de soins [1]. Plus concrètement, les facteurs qui permettent d'éviter la répétition des consultations sont l'exploration du contexte psychosocial du patient et des facteurs déclencheurs, ainsi que la discussion approfondie des données recueillies [1]. Ce qui n'aide pas, c'est une forme erronée de réconfort, comme « Vous n'avez pas de cancer, donc tout va bien », car le patient veut savoir ce qu'il a réellement.

Après le diagnostic, il est donc important d'expliquer au patient ce qu'est exactement le SII. Une attitude empathique est essentielle car il/elle a probablement déjà vu, à plusieurs reprises, ses symptômes minimisés. « On peut expliquer que les signaux que l’intestin envoie au cerveau chez tout le monde sont trop forts dans le cas du SII », suggère Sara Nullens. « Le cerveau interprète alors ce qui est normal comme étant nocif ou anormal. C'est une manière simple d'expliquer au patient le concept de l'axe cerveau-intestin (ou brain-gut axis). On pourrait dire que le SII est ‘la migraine de l'intestin’. C'est une image forte pour le patient car personne ne minimise la gravité et l'impact de la migraine. »
Agir sur la pathogenèse
Le traitement médicamenteux de l’intestin irritable peut être en grande partie ramené à ce que nous savons actuellement sur la pathogenèse.
- Dans le cas d’un SII à prédominance diarrhéique, l'un des mécanismes pathogéniques est la mauvaise réabsorption des sels biliaires dans l'intestin grêle, que l'on observe chez environ un tiers des patients atteints de ce sous-type de SII [2]. Il a été démontré expérimentalement que la présence de sels biliaires dans le côlon peut provoquer des douleurs abdominales intenses et de la diarrhée [2]. L’existence d’une mauvaise réabsorption des sels biliaires peut être diagnostiquée à l'aide du scanner SeHCAT (test à l'acide homotaurocholique marqué au Sélénium-75), un examen où le patient ingère des sels biliaires marqués radioactivement. En cas de réabsorption normale, plus de 10 % de la dose administrée est encore présente dans l'intestin après sept jours [3].
Le traitement consiste à lier les sels biliaires non réabsorbés dans l'intestin afin qu'ils ne puissent plus l’irriter. En Belgique, la colestyramine (Questran®) est le seul agent liant les sels biliaires disponible. Après environ huit semaines de traitement, la douleur diminue considérablement et les selles sont beaucoup mieux liées. L'inconvénient du Questran® est sa consistance : il s'agit d'une pâte calcaire, qui n'est pas agréable à ingérer pour tout le monde. De plus, le médicament ne doit pas être pris avec les repas, sinon les symptômes s'aggravent. À noter que le Questran® est également utilisé dans le traitement de l'hypercholestérolémie – dans ce cas, le médicament est pris avec les repas. En outre, il ne doit pas être pris avec d'autres médicaments (voir la notice).
Les mastocytes constituent un deuxième point d'action possible [4]. Bien que le SII ne s'accompagne pas d'une augmentation du taux de CRP, les biopsies du tissu intestinal révèlent souvent des signes subtils d'inflammation. L'infiltrat se caractérise par une augmentation du nombre de mastocytes, qui libèrent de l'histamine. Cette dernière se lie aux nocicepteurs dans l'intestin, ce qui entraîne la transmission d'un plus grand nombre de stimuli douloureux au cerveau. Une étude a montré que le traitement par l'ébastine réduit sensiblement la douleur après 12 semaines, avec une amélioration de toute une série de paramètres, dont le fonctionnement physique et le sommeil [5]. Cette étude contrôlée par placebo est actuellement complétée par une étude comparative multicentrique en double aveugle randomisée qui compare l'ébastine à la mébévérine, un antispasmodique fréquemment prescrit chez des patients atteints du SII avec prédominance diarrhéique [6]. « Nous demandons donc à nos confrères médecins de ne pas prescrire systématiquement l'ébastine, mais de référer les patients vers les centres participants afin que nous puissions démontrer ou non que le traitement par antihistaminiques sera privilégié à l'avenir », explique la Pre Nullens.
L'activation des mastocytes peut d'ailleurs expliquer en partie la perméabilité accrue de l'épithélium intestinal souvent mentionnée parce que l'histamine réduit la densité des jonctions serrées entre les cellules épithéliales. Le stress peut également avoir cet effet.
Des recherches menées à l'Université de Louvain par le Pr Vanuytsel et ses collègues ont démontré que le stress et l'hormone corticotrope augmentent la perméabilité intestinale, et que le cromoglycate de sodium, un inhibiteur de la dégranulation des mastocytes, rétablit la perméabilité intestinale [7]. Il n’existe actuellement sur le marché belge qu’un seul produit qui cible l'augmentation de la perméabilité intestinale, à savoir le Gelsectan®. Ce médicament est formé de deux composants : l'un qui forme une couche protectrice de gel sur la paroi intestinale, et l'autre qui a un effet anti-inflammatoire. « Il ressort d’une étude [8] que 87 % des patients sous Gelsectan® ont constaté une normalisation de la consistance de leurs selles après un mois. Dans le groupe placebo, personne n'a signalé de normalisation », rapporte la Pre Sara Nullens. Mais elle ajoute qu’il faut interpréter ces résultats avec une certaine prudence : « Une réponse placebo de 0 % dans une population atteinte du SII est plutôt exceptionnelle. Des études supplémentaires restent nécessaires. »
Souvent, un neuromodulateur seul ne suffit pas
pour lutter contre la douleur.
Selon le symptôme prépondérant
Dans la pratique quotidienne, il est utile de classer les patients en fonction du symptôme principal : diarrhée, constipation, douleurs ou ballonnements [9]. « La diarrhée et la constipation sont généralement un peu plus faciles à contrôler », indique Sara Nullens. « La douleur ou les ballonnements sont plus difficiles à traiter. » Pour chacun de ces symptômes, la littérature propose un nombre assez important d'options. Sara Nullens se limite aux options qui lui semblent les plus intéressantes en pratique :
Constipation
o Laxatifs osmotiques (macrogol et dérivés, lactulose, etc.) : faciles à titrer et sûrs. Les patients peuvent parfois se plaindre d'une augmentation des ballonnements.
o Le linaclotide (Constella®) est un agoniste de la guanylate cyclase. Ce médicament est très efficace contre la constipation, à tel point que certains patients développent même une diarrhée. L'avantage de ce médicament est qu'il réduit également la douleur et la sensation de ballonnement. Cela contraste avec les laxatifs osmotiques, qui aggravent souvent la sensation de ballonnement. L'inconvénient du linaclotide est son coût élevé (65 euros/mois).
o Le prucalopride (Resolor®) est un agoniste des récepteurs 5-HT4 qui stimule la motilité du côlon, ce qui facilite le transit intestinal. Ce produit a également des effets bénéfiques sur la vidange gastrique, ce qui amène à l'utiliser souvent pour traiter les patients souffrant à la fois de constipation et de gastroparésie. Le coût de ce produit constitue également un inconvénient.
Diarrhée
o Lopéramide (Imodium® et génériques) : « Un médicament qui inspire beaucoup d'appréhension », constate Sara Nullens. « On craint notamment une accoutumance de l'intestin. C'est injustifié : c'est un produit très sûr. Dans les cas persistants, nous prescrivons jusqu'à plusieurs comprimés par jour aux patients. Il est toutefois recommandé de commencer par une dose faible, car certains patients développent immédiatement une constipation et souffrent de crampes ou de ballonnements. »
o Colestyramine (Questran®) : lire plus haut.
o Ondansétron : très efficace en cas de diarrhée faible à modérée, mais non remboursé chez les patients atteints du SII.
o Rifaximine (Targaxan®) : agit également contre les ballonnements. Remboursé aux patients atteints de SII aux États-Unis, mais pas en Belgique. Coût : 300 euros/mois.
Douleur
o Antispasmodiques ou spasmolytiques (Spasmomen®, Duspatalin®, …). Ces médicaments sont efficaces, mais il faut clairement expliquer au patient qu'ils n'agissent pas immédiatement et le motiver à suivre le traitement suffisamment longtemps. Avec le Spasmomen®, par exemple, l'effet maximal n'est atteint qu'après six à huit semaines. Il est recommandé de poursuivre le traitement pendant quelques mois, puis de le réduire progressivement.
o Antidépresseurs tricycliques : comme ces médicaments provoquent de la constipation, ils sont intéressants en cas de SII à prédominance diarrhéique. Ils traitent principalement la douleur, mais aussi les troubles du sommeil. Les IRSS constituent une alternative en cas d’intolérance. Pour le traitement de la douleur avec des antidépresseurs tricycliques, un « nombre nécessaire à traiter » (Number Needed to Treat - NNT) de (à peine) 4 a été rapporté [10]. Dans le cas d'un SII où la douleur est prédominante, ces médicaments deviennent progressivement le traitement pharmacologique de première intention.
o Les ISRS : ils provoquent parfois des défécations plus fréquentes et conviennent donc aux formes à prédominance de constipation. Ils traitent également l'anxiété et la dépression, mais il est important d'expliquer au patient que le médicament est prescrit exclusivement (ou principalement) pour lutter contre les douleurs abdominales et la constipation. Il est d'ailleurs recommandé de ne pas parler au patient d'« antidépresseurs », mais plutôt de « neuromodulateurs ». Les ISRS sont également utilisés chez les personnes qui ont développé des comportements phobiques, liés ou non à leur SII (elles ne s'alimentent presque plus ou suivent un régime alimentaire très restrictif).
On peut prescrire la mirtazapine (Remergon®) lorsque le patient a une sensation de plénitude ou des nausées, et certainement en présence de problèmes de sommeil concomitants.
Traitement combiné et options non pharmacologiques
« Souvent, un neuromodulateur seul ne suffit pas pour lutter efficacement contre la douleur », explique Sara Nullens. « Après l’instauration du traitement, les patients atteints de SII peuvent paradoxalement ressentir davantage de douleur ou développer des effets secondaires à très faibles doses. Dans ce cas, d'autres médicaments peuvent être ajoutés. Il peut s'agir d'une faible dose de gabapentine (Neurontin®) ou de prégabaline (Lyrica®) - en particulier en cas de syndrome douloureux comorbide tel que la fibromyalgie - ou d'antipsychotiques (atypiques) [11]. »
« Des traitements non pharmacologiques, tels que la thérapie cognitivo-comportementale, la relaxation et l'hypnose, peuvent également être utilisés [11]. L'utilité de ces options non pharmacologiques a été démontrée à maintes reprises mais, en Belgique, il est difficile de trouver des collègues spécialisés dans ce domaine, ou les délais d’attente sont longs. Il est néanmoins extrêmement important d'explorer l'aspect biopsychosocial – pour de nombreux patients, cela sera plus bénéfique que la longue recherche du remède-miracle ultime. »
Les fibres sont efficaces aussi bien en cas de constipation que de diarrhée. Dans le premier cas, elles apportent davantage d'humidité dans les selles, tandis qu’elles les rendent plus compactes dans le second. Dans le cas du SII, seules les fibres solubles sont envisageables, car les fibres non solubles peuvent entraîner une sensation accrue de ballonnement et de douleur. Pour le son et les graines de psyllium, une étude sur le SII a calculé un NNT = 7 [12], ce qui est acceptable.
Le régime pauvre en FODMAP (oligosaccharides, disaccharides, monosaccharides et polyols fermentescibles) est le régime le mieux documenté pour le SII. Il est recommandé chez les patients souffrant de diarrhée et de ballonnements. Dans ce sous-groupe, il a un effet bénéfique significatif sur la douleur [13].
Pour les patients qui ne souhaitent pas suivre de traitement pharmacologique, la préparation à base de plantes Iberogast peut être une option (non disponible en Belgique, mais bien chez Kruidvat aux Pays-Bas). Une étude de qualité acceptable montre une réduction significative des symptômes par rapport au placebo [14]. Le Tempocol (huile de menthe poivrée) combat la douleur et les ballonnements, comme le montrent plusieurs études contrôlées par placebo [15-17].
En ce qui concerne la pathogenèse et le traitement de toutes sortes de pathologies, les médias populaires font souvent référence au microbiome, à l'utilité des probiotiques et à l'essor de la transplantation fécale. Cette dernière a donné des résultats spectaculaires dans une étude, mais une revue de plusieurs études n'a pas trouvé d'effet significatif. L'effet dépend probablement beaucoup du donneur. Il faut attendre davantage de données à ce sujet. Il en va de même pour (l'effet des) probiotiques dans le SII [18-19].
Les références peuvent être obtenues auprès de la rédaction du journal du Médecin.
En collaboration avec le Centrum Huisartsgeneeskunde (CHA) de l'UAntwerpen.
Objectifs d’apprentissage :
La lecture de cet article vous aura familiarisé(e) avec :
- Les facteurs de l'interaction patient-médecin, qui déterminent si le patient continue à souffrir de symptômes de type SII et revient régulièrement en consultation ;
- La mauvaise réabsorption des sels biliaires comme point de départ pour le traitement des symptômes de type SII ;
- Les mastocytes dans la paroi intestinale comme point de départ pour le traitement des symptômes de type IBS avec des antihistaminiques ;
- Le choix d'un traitement médicamenteux pour le SII en fonction du symptôme prédominant ;
- Un traitement combiné pour la douleur liée au SII, lorsque le traitement de première intention ne donne pas de résultats suffisants ;
- Diverses options non médicamenteuses.
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