Budget et accord médico-mut
Les deux chantiers de la rentrée de l’Inami
Après un été crispé par la réforme « soins de santé », Mickaël Daubie, directeur général du service soins de santé de l’Inami, détaille les chantiers qui marqueront la rentrée : économies massives et renégociation des accords sectoriels, le tout sur fond d’une refonte structurelle du système.
Le journal du Médecin : L’été a été marqué par des concertations difficiles autour de la réforme « soins de santé ». Comment avez-vous vécu ces concertations ?
Mickaël Daubie : Il y a eu effectivement de nombreuses réunions avec les syndicats médicaux et dentaires, ainsi que le cabinet du ministre. Ce n’était pas évident de trouver un terrain d’entente. Mais il faut reconnaître que les textes ont beaucoup évolué au fil des discussions, pour tenir compte des demandes des prestataires. Certains diront que ce n’est pas suffisant, mais objectivement, le projet initial a été adapté à plusieurs reprises.
Pourtant, on a senti un emballement très rapide, notamment sur les réseaux sociaux.
Absolument. C’est ce qui m’a le plus frappé : des affirmations fausses, répétées en boucle, finissent par acquérir une autonomie propre. On a par exemple pu lire que l’Inami allait avoir accès direct aux dossiers médicaux des patients… C’est faux, évidemment. Mais ce type de rumeur, reprise massivement, a pesé sur la perception du projet.
Beaucoup de fake news ont circulé. La désinformation a rendu le débat malsain. Sur LinkedIn, par exemple, les fake news circulent sans contrepoids : l’administration intervient rarement, sauf pour corriger des faits objectifs. Prenons l’exemple du numéro Inami : certains ont affirmé que le ministre pourrait désormais retirer un numéro d’autorité. C’est totalement faux. Tout retrait se fait uniquement sur base d’éléments probants et via une procédure contradictoire, avec possibilités d’appel. Nous avons d’ailleurs diffusé une note pédagogique pour expliquer cela aux prestataires de soins.
Vous vous attendiez à une telle confrontation ?
Dès que vous touchez au conventionnement ou aux suppléments, vous touchez à des équilibres sensibles. Et donc aux revenus, que ce soit ceux des médecins, des dentistes ou des hôpitaux. C’est inévitable que cela provoque des réactions. Le conventionnement partiel, par exemple, était critiqué car peu lisible pour le patient. L’idée était de le supprimer. Les prestataires s’y sont opposés, il a été réintroduit, mais avec la volonté de le rendre plus clair. C’est la preuve qu’il y a eu une écoute réelle.
Finalement, est-ce que la concertation a tenu ses promesses ?
Oui, il n’y a jamais eu de portes fermées. Les adaptations successives montrent que la concertation a joué son rôle. Mais l’ambiance générale est restée très tendue, et c’est cela qui a marqué ces semaines de juin et juillet.
Le budget : 907 millions à trouver
Le gouvernement a fixé un objectif d’économies de 907 millions d’euros pour 2026. Comment comptez-vous atteindre ce montant ?
C’est un défi majeur. Nos dépenses annuelles s’élèvent à environ 45 milliards d’euros. Et trois postes – les médecins, les hôpitaux et les médicaments – représentent à eux seuls près de 30 milliards. C’est donc dans ces secteurs que les efforts devront se concentrer. La lettre d’intention du gouvernement précise la répartition (lire en couverture, NdlR).
Il s’agit pour l’instant d’estimations techniques établies en juin. Elles seront actualisées dans les prochains jours et présentées au Conseil des ministres à la mi-septembre. Mais quel que soit le chiffre final, l’ordre de grandeur restera le même : c’est un ajustement colossal, à réaliser dans un laps de temps très court.
Justement, le calendrier semble particulièrement serré.
Oui. Une proposition doit être sur la table pour le premier lundi d’octobre, et validée dans la foulée pour être effective au 1er janvier 2026. Cela nous laisse très peu de marge de manœuvre. C’est une course contre la montre.
Est-ce que certains efforts ont déjà été amorcés ?
Oui. Nous avions anticipé une partie du problème en travaillant dès le début de l’année sur plusieurs postes : le médicament, certains implants, les prestations médicales, les maisons médicales… Mais il reste encore énormément à faire.
Certains tabous pourraient-ils tomber, comme la hausse des tickets modérateurs ?
C’est une demande récurrente de plusieurs prestataires de soins : responsabiliser le patient pour éviter une surconsommation. Prenons un exemple simple : si la science dit que trois échographies suffisent pendant une grossesse, faut-il en rembourser une chaque mois ? Mais du côté des mutuelles, c’est une ligne rouge. Dans un contexte purement budgétaire, cela passe très mal. Dans un cadre de soins appropriés, où la pertinence médicale est au centre, le débat peut être posé plus sereinement.
Vous évoquez aussi le risque de décisions précipitées.
C’est un danger réel. Quand il faut trouver rapidement plusieurs centaines de millions, on prend parfois des décisions sans recul suffisant. La téléconsultation en est un bon exemple : décidée dans l’urgence il y a un an, elle a ensuite montré ses limites. Si l’on ne change pas de méthode, on restera dans ce cycle de mesures rapides mais fragiles.
L’impact des tarifs douaniers américains sur les médicaments est-il déjà intégré dans vos calculs ?
Non, c’est beaucoup trop tôt. La mesure est récente, et nous n’avons pas encore pu en évaluer les répercussions. Mais il est évident que cela risque de compliquer nos relations avec les firmes pharmaceutiques. Dans un budget où le médicament pèse déjà très lourd, la moindre hausse de prix fragilise encore davantage nos marges de manœuvre.
L’accord médico-mutualiste : une négociation sous tension
En parallèle, il faudra renégocier un nouvel accord médico-mutualiste pour 2026-2027. Dans quel état d’esprit abordez-vous ces discussions ?
Avec beaucoup de lucidité. Conclure un accord est toujours plus simple quand on dispose de marges budgétaires et qu’on peut mettre sur la table de nouvelles initiatives. Cela permet d’apaiser les tensions, chacun y trouve un bénéfice. Ici, ce sera l’inverse : un contexte budgétaire extrêmement contraint, des marges quasi inexistantes et des positions très crispées dès le départ. Et il ne s’agira pas seulement de l’accord médico-mutualiste pour les médecins : les dentistes et les kinés seront eux aussi concernés par de nouvelles négociations.
Ce climat risque donc de peser lourdement sur les négociations ?
Oui. Le contexte général n’est pas délétère, mais il est loin d’être serein. Et le cadre budgétaire n’arrange rien. Trouver un compromis quand il n’y a aucune marge disponible est forcément compliqué. Et cette situation risque de durer encore un ou deux ans. Ce n’est qu’en 2028, quand nous retrouverons une croissance budgétaire un peu plus favorable, qu’il sera possible de dégager de nouvelles politiques et d’envisager un climat plus constructif.
Sortir de la “râpe à fromage” : les soins appropriés comme solution
Face aux économies massives à réaliser, beaucoup redoutent un retour aux coupes linéaires.
Sortir la râpe à fromage ne règle rien. Raboter les honoraires de 0,5 % ou 1 % permet peut-être d’atteindre l’objectif budgétaire sur le moment, mais cela ne fait que générer de la frustration chez les prestataires. Ce sont des mesures de court terme, qui n’apportent aucune réponse structurelle. On crée de la lassitude sans améliorer la pertinence ni la qualité des soins.
Quelle alternative proposez-vous ?
Miser sur les soins appropriés. Cela signifie ne pas seulement jouer sur les tarifs, mais aussi sur les volumes d’activité et la pertinence des actes. Pourquoi financer des examens ou des interventions qui n’ont pas de justification médicale claire ? Avec une approche de type value based healthcare, on peut améliorer la qualité des soins tout en évitant la surconsommation. C’est une autre manière d’envisager le système : au lieu de couper uniformément, on interroge l’utilité réelle des actes.
Cela suppose un changement profond de méthode.
Exactement. Il faut réfléchir à la manière dont le système est organisé, pas seulement aux montants. La réforme de la nomenclature en cours est un premier levier, car elle permet de rééquilibrer certains honoraires à enveloppe fermée. Mais cela ne suffit pas. C’est pourquoi nous avons créé, au sein de l’Inami, une direction spécifiquement dédiée aux soins appropriés. C’est un signal fort : ce chantier doit devenir central, au même titre que la nomenclature.
Les prestataires sont-ils prêts à s’engager dans cette logique ?
Beaucoup disent vouloir du changement, mais quand il s’agit de changer leurs habitudes, c’est plus compliqué. Je me rappelle d’un petit dessin humoristique qui résume bien la situation : “Qui veut du changement ?” – tout le monde lève la main. “Qui veut changer ?” – beaucoup moins de mains. “Qui veut mener le changement ?” – plus personne. C’est exactement cela : le changement bouleverse des équilibres établis, il crée des incertitudes, et ce n’est jamais confortable. Mais si nous ne le faisons pas, nous resterons prisonniers du court-termisme.
Donc pour vous, l’avenir du système passe par une refonte en profondeur ?
Oui. Nous sommes vraiment à la croisée des chemins. Soit nous continuons avec la râpe à fromage et nous reproduisons la même logique pendant dix ans, soit nous acceptons de transformer le système. Je ne dis pas que cela se fera en quelques mois, mais il est urgent de jeter les bases dès maintenant. Et cette fois, il faut le faire avec courage, en impliquant tous les acteurs.
Est-ce que cela peut déjà se traduire dans le prochain accord ?
C’est ce que nous espérons. À court terme, il faudra évidemment faire les économies et renégocier un nouvel accord. Mais ce rendez-vous pourrait aussi servir à fixer un cadre, même moral, pour une autre approche. On pourrait y inscrire une méthodologie, un engagement sur la réforme de la nomenclature ou sur la logique de soins appropriés. En 2026, nous n’aurons pas encore tous les éléments pour bâtir un système différent, mais nous pouvons déjà jeter les fondations.
Données de santé : un chantier encore laborieux
Les données de santé sont un des piliers du plan en cinq objectifs de l’Inami à l’horizon 2030. Si l’administration a fait des progrès en matière de prescription et de facturation électroniques, l’échange de données reste le maillon faible. « C’est l’épine dorsale de toute politique de santé moderne », insiste Mickaël Daubie. « C’est autour de cet échange d’informations que doit se construire l’interdisciplinarité, la continuité des soins et l’approche transmurale. Or, aujourd’hui, les données circulent encore trop difficilement entre prestataires. »
Sur le terrain, la résistance demeure forte. « Pourtant, ce sont des outils qui devraient simplifier leur pratique. Mais les difficultés techniques et la complexité institutionnelle freinent l’adhésion », constate le DG Services soins de santé de l’Inami. Il constate que même la facturation électronique, pourtant conçue comme un soutien administratif, met « des plombes » à s’imposer.
La roadmap e-santé, qui doit prochainement voir le jour, pourrait donner un nouvel élan. Elle traduit une prise de conscience politique plus forte, après des années de relative inertie. Mais les obstacles restent nombreux : la fameuse « lasagne institutionnelle » belge, les coffres-forts de données qui diffèrent selon les régions, ou encore les réticences de certaines professions. « La digitalisation restera un chantier de longue haleine », reconnaît Mickaël Daubie.