Le journal du médecin

La santé en prison, un enjeu pour nous toutes et tous

santé en prison
© Getty Images

Nous, soignant.e·s, dans notre diversité et nos modes d’exercices variés, souhaitons exprimer avec force et unité notre solidarité avec nos collègues ayant dénoncé dans différents médias la nature et la qualité des soins en milieu carcéral et ce, dans une dimension systémique.

Leurs témoignages mettent en lumière un système dénoncé de longue date. Pour celles et ceux d’entre nous exerçant ou ayant exercé en milieu carcéral, il s’agissait d’un secret de polichinelle pesant : les soins médicaux en prison sont, de fait, catastrophiques. Résumé par Arthur Sente dans Le Soir : « Chaque jour s’apparente à un numéro de funambule sur un fil déontologique très fragile. » Le courage de nos collègues à briser le silence et à rompre notre isolement est un véritable soulagement.

La fonction de soignant·e, une fonction qui nous oblige vis-à-vis des personnes détenues

Nous rappelons haut et fort que notre fonction nous oblige à plusieurs niveaux, comme l’a développé P. Ricœur dans Les trois niveaux du jugement médical (Esprit, décembre 1996, vol. 12, no 227, p. 21) : au niveau du jugement prudentiel impliqué dans la relation singulière entre soignant·e et patient·e fondée sur un pacte de confiance et une fiabilité de l’accord entre les deux parties, mais aussi au niveau déontologique, compte tenu du Code de déontologie médicale, soutenu par la loi du 22 août 2002 sur les droits des patient·e·s étant donné que « le médecin soigne avec la même conscience tous les patients, sans discrimination » et finalement, globalement, au niveau éthique. 

Or, c’est dans ces trois dimensions que nos collègues sont empêchés de remplir leurs missions de soignants.

Une atteinte injustifiable aux soins

Le témoignage récent de nos collègues, précédé par de multiples rapports (rapport du KCE de 2017, appel*transfert*santé*prisons*, notices de l’Observatoire International des prisons, communiqués de l’OIP, Comité européen pour la Prévention de la Torture…)  alerte sur un manque criant de moyens, une absence de pluridisciplinarité, une absence de vision, une gestion calamiteuse des ressources, mais aussi des pressions institutionnelles inacceptables. Cet ensemble de dysfonctionnements structurels entrave gravement les possibilités diagnostiques et thérapeutiques ainsi que le discernement indispensable au raisonnement médical.

Les soins de santé en prison dépendent, en Belgique, du SPF Justice. Le médecin exerçant en milieu carcéral est donc structurellement soumis à un conflit de double loyauté – devoir de loyauté envers le patient et envers l’administration carcérale –, source d’injonctions contradictoires. Or, même si le constat est douloureux, dans cette institution totale, c’est la logique carcérale, sécuritaire, opaque extrêmement puissante qui l’emporte sur la logique du soin. Il existe dès lors un risque structurel d’abus de pouvoir pouvant conduire à des décisions médicales prises sans concertation avec les patients, sans transparence et loin des recommandations de l’EBM et sans concertation pluridisciplinaire.

Un impact sur l’ensemble de la société

prisonNous affirmons que la santé des personnes détenues est importante à l’échelle individuelle, tant dans une perspective de santé publique que dans une approche pragmatique d’économie de la santé. La prison n’est pas Alcatraz sur une île.
En réalité, la prison s’inscrit dans une continuité avec la société : les personnes aujourd’hui incarcérées sortiront demain, des patient·e·s dehors aujourd’hui franchiront demain les murs de la prison. A l’échelle individuelle, rappelons que le droit à la santé est un droit avéré, fondamental, qui doit être respecté et ce, y compris dans nos prisons et nos centres fermés.

Pour nous, soignant·e·s à l’intérieur, ce n’est pas une abstraction : ce droit est bafoué. C’est la cause de souffrances humaines physiques et psychiques pour des personnes cumulant souvent de multiples vulnérabilités. Nous sommes non seulement témoins, mais aussi acteurs des maladies et des souffrances causées par les mauvaises conditions de détention et la mauvaise qualité des soins. Nous voyons les prisons échouer quotidiennement, et en temps réel, dans leur mission de réinsertion, d’autant plus que les inégalités existantes sont renforcées ou perpétuées.

Les taux de récidive sont parmi les plus élevés d’Europe. Celle-ci a un impact significatif sur la santé globale des personnes détenues, mais aussi sur la réinsertion après la peine, favorisant la récidive. La Santé publique est également mise en difficulté par ces manquements. Nous, soignant·e·s à l’extérieur, recevons régulièrement de personnes souffrant de retards diagnostiques et/ou thérapeutiques en raison de prises en charge inadaptées en prison. Nous nous heurtons aussi à l’absence de continuité des soins avec une communication entre le dedans et le dehors très difficile, occasionnant des interruptions injustifiées de prise en charge du fait d’une incarcération.

Ceci impacte la santé des personnes, mais aussi la collectivité,
car les prises en charge différées sont rendues plus complexes
et finalement plus onéreuses.

Des réformes structurelles urgentes

Cette impasse, aux conséquences dramatiques, ne peut et ne veut pas se résoudre d’elle-même. Des décisions politiques courageuses s’imposent.

Tout d’abord, nous pensons que les soins de santé doivent être organisés par le service qui a l’expertise et l’expérience pour le faire : le SPF Santé publique. Cela ne résoudra pas l’impact de la détention sur la santé des détenus et de la société, mais c’est une condition nécessaire pour des soins indépendants et de qualité. Cela doit être associé à des contre-pouvoirs structurels contraignant l’administration pénitentiaire dans son obligation de faire exister le soin avec un objectif d’équivalences de soins.

Dans l’intérêt de la société dans son ensemble, nous, soignants, voulons également réfléchir aux mécanismes de sélection de la justice et de la société, qui font qu’une part disproportionnée de nos patients pauvres et psychologiquement vulnérables se retrouvent en prison.

>> Par Dr Philippe Cardon, médecin généraliste et directeur du département de médecine générale ULB; Dr Manuella Cobbaut, médecin généraliste (planning familial et ASBL Interstices CHU Saint-Pierre); Dr Martin Colard, hématologue; Dr Marc Devos, psychiatre et directeur médical du Centre médical Enaden; Pr Charlotte Martin, cheffe de service Maladies infectieuses CHU Saint-Pierre, maître de conférences à l’Université Libre de Bruxelles; Dr Lise Meunier, hépatologue et addictologue ASBL Réseau Hépatite C Bruxelles; Dr Kevin Moens, psychiatre et directeur médical de l’ASBL Projet Lama; Dr Arthur Poncelet, infectiologue; Dr Michel Roland, médecin généraliste retraité et de santé publique, ex-enseignant ULB, travailleur LAMA; Dr Charly Sibille, psychiatre et chef de service CHU Saint-Pierre, ainsi que [cosignataires] : Yves Coppieters, ministre, professeur de santé publique ULB ; Isabelle Durant, expert Right to Development UN Human Rights Council Former Deputy Secretary General UNCTAD ; Pr Annemie Schauss, rectrice de l’ULB, ainsi que plusieurs centaines de cosignataires dont la liste peut être consultée via ce lien.

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Écrit par Collectif3 juin 2025

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