Les EMI sous le regard de la science
Les recherches sur les EMI privilégient la piste d'une cascade de processus neurophysiologiques et psychologiques concomitants. Avec peut-être, selon des chercheurs de l'ULiège, une coloration évolutionniste.
Les expériences de mort imminente (EMI) sont fréquentes, puisque 10 à 20% des personnes ayant survécu à un arrêt cardiaque en rapportent une. De surcroît, d’autres conditions médicales problématiques peuvent leur servir de terreau : des complications durant une anesthésie, une hémorragie, une septicémie… Il arrive aussi que des personnes relatent l’équivalent d’une EMI alors que leur vie n'a pas été en danger. Une syncope, une séance de méditation, la prise de drogues psychédéliques, une forte fièvre ou encore un stress très aigu peuvent parfois suffire à générer un tel phénomène. On parle alors d'EMI-like, mais plus souvent de NDE-like par référence à la terminologie anglo-saxonne des EMI (Near-Death Experiences – NDE).
Si la majorité des expérienceurs rapportent que leur EMI fut un « moment de félicité » et que, depuis, ils sont devenus moins matérialistes, plus altruistes et plus enclins à la spiritualité, une étude du Coma Science Group du GIGA-Consciousness de l'ULiège a néanmoins mis en évidence que les EMI étaient vécues négativement dans 14% des cas. Et, d’autre part, que certaines personnes éprouvent des difficultés à intégrer dans leur vie quotidienne l’expérience extraordinaire qu’elles ont vécue, quand bien même celle-ci avait été positive. Ce qui amène Charlotte Martial, neuroscientifique responsable des recherches sur les EMI au sein du Coma Science Group, à imaginer l’éventualité d’un trajet de soins pour aider les expérienceurs en difficulté psychologique.
Le modèle NEPTUNE
Par le passé, les expérienceurs ont souvent été stigmatisés. Aujourd'hui, la science est formelle, les souvenirs d'EMI ne sont pas le fruit de l'imagination, ils sont bien réels. Ce qui ne signifie pas qu'ils accréditent que les phénomènes relatés (expérience de décorporation - OBE -, vision d'un tunnel de lumière, rencontre avec des défunts, etc.) correspondent à des stimuli externes authentiques. La question est alors : comment expliquer les EMI ? Trois types de théories existent. Les premières, de caractère spirituel, postulent que les EMI sont la preuve d'une vie après la mort. Elles n'ont jamais fait l'objet d'aucune démonstration rigoureuse.
Deuxième type de théories explicatives des EMI : les interprétations psychologiques, lesquelles demeurent des hypothèses. Élaborée conjointement par l’Université de Copenhague et l’Université de Liège, l’une d’elles a été publiée en 2021 dans Brain Communications. Elle postule que les EMI pourraient s’inscrire dans une perspective évolutionniste et consisteraient en un sentiment de perte du sens de la réalité, ce qui servirait de moyen de défense psychologique devant une situation critique de mort imminente. En quelque sorte, notre inconscient embellirait la situation pour nier l'imminence de notre disparition et agirait ainsi comme un mécanisme de survie en favorisant adaptation et résilience à des conditions extrêmes. Aux yeux des chercheurs belges et danois, la thanatose, comportement animal souvent appelé « simulacre de mort » et consistant à se figer pour se faire passer pour mort en cas de menace d’un prédateur, pourrait être le fondement évolutif des expériences de mort imminente. Ils suggèrent que l’acquisition du langage a permis aux humains de transformer le processus relativement stéréotypé de la thanatose en perceptions riches constitutives des EMI et, partant, de l’étendre à des situations sans lien avec la présence d’un prédateur. Toutefois, deux questions viennent directement à l’esprit. Comment cette hypothèse est-elle compatible avec l’existence des EMI négatives, où le sujet ne vit pas une « fable » mais plutôt un « cauchemar » ? Et comment l’est-elle avec la réalité des NDE-like, où la vie n’est nullement en péril ? « Nous devrons analyser notre hypothèse sous toutes ses facettes pour évaluer sa compatibilité avec de telles situations », indique Charlotte Martial.
C’est avec cette vision évolutionniste en toile de fond qu’a été proposé récemment un premier modèle intégratif des EMI qui vise à expliquer leur émergence par une cascade de processus neurophysiologiques et psychologiques concomitants. Baptisée NEPTUNE (Neurophysiological Evolutionary Psychological Theory Understanding Near-Death Experience), cette approche, fruit d’une collaboration entre le Coma Science Group et des chercheurs internationaux,  a été publiée le 31 mars 2025 dans Nature Reviews Neurology. Dans ce modèle, les neuroscientifiques émettent notamment des hypothèses sur des caractéristiques spécifiques des EMI. « Ainsi, nous avons identifié certains systèmes de neurotransmission qui pourraient être associés spécifiquement à l’encodage en mémoire des souvenirs d’EMI, d’autres au sentiment de bien-être, d’autres aux hallucinations visuelles, d’autres encore à l’impression d’hyperréalité… », commente Charlotte Martial.
NDE-like en laboratoire
Une étape ultérieure sera d’approfondir le versant neurophysiologique des EMI. Les théories les plus crédibles associent les diverses composantes de ces expériences (tunnel de lumière, OBE…) à un dysfonctionnement de régions cérébrales spécifiques lors de crises physiologiques aiguës, en particulier une hypoxie résultant d’un traumatisme crânien, de troubles cardiaques, d’une intoxication au monoxyde de carbone, etc. Les faits plaident en faveur de cette hypothèse. Ainsi, la stimulation accidentelle puis expérimentale de la jonction temporo-pariétale droite du cerveau a donné lieu à des expériences de décorporation.
Ne pouvant s'effectuer en temps réel, la recherche des corrélats neuronaux des différentes composantes des EMI nécessite a priori le recours à des méthodes indirectes de détection faisant appel à des NDE-like induites en laboratoire chez des volontaires. C'est le cas notamment lorsque les chercheurs utilisent des substances psychédéliques pouvant induire des expériences qui ressemblent à des manifestations d'EMI. Les consommateurs de telles drogues sont fréquemment sujets à un phénomène appelé « ego dissolution », où se produit un estompage de la frontière entre soi et l'environnement, donc de la perception de soi. « Or », rappelle Charlotte Martial, « nombre d'expérienceurs déclarent avoir été connectés à leur environnement, à l'univers, à la nature, parfois à d'autres êtres qu'ils ont pu rencontrer durant leur EMI. » Au terme d'une étude publiée en 2020, les neuroscientifiques du Coma Science Group ont montré que plus l'expérience de mort imminente avait été intense dans le souvenir des 100 expérienceurs (80 EMI classiques, 20 NDE-like) participant à leurs travaux,  plus la dissolution de l'ego l'avait été également. Par ailleurs, ils observèrent une corrélation du même ordre entre l'intensité des épisodes de décorporation rapportés et le score à l'EDI, questionnaire qui permet de quantifier la dissolution de l'ego.
Une autre méthode indirecte d'appréhender les EMI consiste à placer de jeunes volontaires en état de syncope par le biais d'une hyperventilation induite par des manœuvres de Vasalva. Ce qui fut fait à Liège. Dans cette étude, huit participants sur 22 rapportèrent des souvenirs conformes à ceux d'une NDE-like. Les chercheurs relevèrent chez eux  une augmentation de la « complexité cérébrale » (brain complexity), laquelle se traduit par des connexions neuronales plus riches et plus dynamiques ainsi que par leur grande diversité architecturale. « D’autre part », souligne Charlotte Martial, « nous avons mis en évidence, chez ces sujets, une augmentation des ondes lentes, notamment delta et thêta, dans la zone temporo-pariétale, région que la littérature décrit comme impliquée dans la conscience. En outre, on sait que, stimulée, la jonction temporo-pariétale peut induire des expériences de décorporation. Enfin, la littérature associe les ondes delta et thêta aux expériences subjectives vécues sous drogues psychédéliques. »
Des « flashes » de conscience
D'aucuns affirment qu'une fois réanimés, des patients ont pu reconstituer les conversations et les actes du personnel médical. 80% des sujets ayant connu une expérience de décorporation déclarent même avoir assisté, d'une position surélevée, à la scène de leur réanimation. Le Coma Science Group a entrepris une étude en salle de réanimation au CHU de Liège. Les chercheurs se sont donné pour but, grâce aux techniques EEG, d'identifier de potentiels moments de conscience chez des personnes considérées comme inconscientes à la suite, par exemple, d’un arrêt cardiaque ou d’une intubation résultant d’une complication opératoire. Comme le précise Charlotte Martial, il est possible également qu’en dehors d’éventuelles reconnexions à l’environnement, des reconstitutions similaires à celles de rêves puissent également être le support d’étonnantes descriptions en lien avec les attentes du sujet, les propos qui lui ont été tenus après son EMI ou encore sa connaissance de l’environnement hospitalier.
De même, les neuroscientifiques liégeois ont placé des caméras dans la salle de réanimation du CHU de Liège afin de filmer la prise en charge des patients et, moyennant leur consentement, comparer ultérieurement leurs rapports subjectifs de vécu d’OBE ou de NDE avec les images vidéo. Premiers résultats de cette étude en cours attendus dans environ un an. « À mon sens, s’il devait y avoir concordance entre ces images et les récits subjectifs portant sur des souvenirs de la prise en charge en réanimation, cela ne permettrait pas de conclure que la conscience peut se localiser en dehors du cerveau, mais qu’il existe une réalité physiologique permettant au patient de disposer d’un minimum de conscience alors qu’il était jugé totalement inconscient. Un tel résultat remettrait cependant en question toute la littérature scientifique sur la conscience », conclut Charlotte Martial.