La médecine peut être confrontée à un dilemme: celui d’un être humain qui, face à la maladie, choisit de ne pas se soigner.
Dr Carl Vanwelde, médecin généraliste
Refus d’hospitalisation, volonté de mourir chez soi, rejet des examens ou des traitements, autant de gestes souvent perçus comme un défi laissant le médecin désemparé, partagé entre le principe d’autonomie et celui de protection. Existe-t-il un devoir de se soigner ? Et jusqu’où s’étend la liberté de s’y refuser ?
Quand un forcené nous enseigne le droit
Une nuit d’automne, un mari caractériel met son épouse à la rue en chemise de nuit pour de sombres raisons. Leur médecin tente de l’hospitaliser contre son gré, avec l’aide d’ambulanciers et, dans un second temps, de la police. En vain, aucune loi dans notre pays n’autorisant les services de secours d’emmener un patient sans son accord s’il ne constitue pas un danger immédiat pour l’entourage ou sa propre personne. Dans le cas présent, ce sera, contre toute logique, l’épouse qui acceptera d’être hébergée aux urgences de l’hôpital.
Cet incident révélateur pose bien la question de la liberté et des limites du refus de soin. La médecine valorise la santé comme un bien suprême, mais elle ne saurait en faire une obligation sans empiéter sur la liberté de l’individu. Pareille attitude relève souvent davantage d’une crainte de perdre son autonomie par médicalisation que d’un désintérêt pour sa santé. Constitue-t-elle pour autant toujours un mauvais choix, même si elle reste parfois incompréhensible au corps médical ? Pas sûr. Un diabétique de type 2, correctement informé des risques de son affection, qui se renseigne ensuite soigneusement sur les modifications à apporter à son hygiène alimentaire, les adopte scrupuleusement, perd du poids et marche ses 10.000 pas quotidiennement, améliore sans aucun doute son espérance de vie davantage que celui qui ne le fait guère mais consulte en permanence en changeant sans cesse de diabétologue. L’un prend soin de lui, l’autre se soigne, cherchez l’erreur. Ce souci d’autonomie peut également se justifier dans certaines affections dégénératives sans traitement reconnu, ou dans des situations de fin de vie. Ni déni ni défi, l’émancipation médicale, si elle est responsable, peut constituer un bon choix.
Le refus de soin, une liberté limitée
Toute liberté a cependant ses limites. Le droit de refuser un traitement n’est reconnu qu’à la condition que le sujet soit capable de discernement et pleinement informé. L’enfant en bas âge, dépendant de la responsabilité parentale, ne peut pas exercer ce choix. La société se réserve alors le droit d’intervenir pour préserver son intérêt supérieur : ici, la protection prime sur l’autonomie. Il en va de même pour le patient atteint de démence ou de troubles cognitifs graves qui pourrait ne plus être apte à consentir ou refuser en connaissance de cause. Dans ces situations, la bienfaisance médicale, agir pour le bien du patient, reprend sa légitimité. Il existe aussi des cas où le refus de soin met en danger autrui : maladie infectieuse grave, épidémies menaçant la collectivité. La liberté de l’un cède alors devant la sécurité de tous, provoquant des débats sociétaux parfois violents, comme ce fut le cas lors de la récente pandémie de covid-19.
Dr Carl Vanwelde
« Respecter la volonté du patient sans cesser de vouloir son bien, informer si c’est son souhait mais sans contraindre, accompagner sans s’imposer. »
Le refus de savoir : un autre visage de la liberté
La liberté ne s’exprime pas seulement dans le refus d’un traitement, mais parfois dans le refus de recevoir une information sur sa maladie. Cette patiente qui dit : « Moins j’en sais, mieux je me porte » incarne une forme de sagesse défensive. Elle choisit l’ignorance comme protection contre l’angoisse, préférant la paix de l’esprit à la lucidité douloureuse. Cette attitude se distingue du déni, ou anosognosie, mécanisme de défense refusant d'accepter une réalité médicale qui a été énoncée, mais insupportable à assumer. Actif ou passif, ce refus d’information peut se confondre parfois à un refus de soin lorsque la personne ne se présente pas aux rendez-vous, ou évite le sujet. Le droit de ne pas savoir est reconnu en bioéthique : il témoigne d’une conception du soin respectueuse du psychisme, non réductible à la transparence technologique. Mais ce droit ne saurait être une démission du médecin. Paul Ricœur parlait de la sollicitude comme d’un équilibre : respecter la volonté du patient sans cesser de vouloir son bien, informer si c’est son souhait mais sans contraindre, accompagner sans s’imposer.
Entre autonomie et vulnérabilité : la sagesse du discernement
La liberté de refuser le soin n’est ni un absolu, ni un caprice : elle est une épreuve de discernement. La médecine ne peut se penser sans reconnaître la vulnérabilité comme part constitutive de l’humain. Le rôle du médecin n’est donc pas d’imposer ce qui lui paraît raisonnable, mais d’aider le patient à donner sens à la difficulté qu’il affronte. La confrontation de deux agendas qui auront à se synchroniser.
Comme le dit Levinas, le visage de l’autre m’impose responsabilité, non pouvoir. Dans les cas les plus extrêmes, il ne s’agit plus de sauver à tout prix, mais de soigner jusqu’au bout, y compris dans le respect de la volonté de mourir dans son lit, entouré de silence et de dignité. Se soigner n’est pas un devoir moral, mais une possibilité librement choisie. Refuser le soin peut être une révolte, une peur, ou parfois une forme de sagesse. La tâche du médecin n’est pas de juger ce choix, mais de l’accompagner, de faire en sorte que ce refus soit éclairé, non désespéré. Le soin retrouve ici sa dimension la plus humaine : il n’est plus seulement technique, mais rencontre, celle de deux libertés cherchant ensemble la voie la plus appropriée dans l’affrontement de la maladie.
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Écrit par Dr Carl Vanwelde, médecin généraliste20 novembre 2025
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