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Vers une prise en charge multimodale de l'obésité infantile

DOSSIER L’obésité est une maladie multifactorielle qui apparaît souvent dès l’enfance et peut évoluer dès le plus jeune âge. L’aborder avec les parents n’est pas toujours aisé, mais c’est un moment charnière pour agir et prévenir les complications futures.

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© Getty Images.

Avec l’âge, les risques de complications physiques et psychologiques liés à l’obésité augmentent, tout comme la probabilité de persistance du surpoids à l’âge adulte. La sévérité du surpoids détermine le niveau de prise en charge nécessaire. Les meilleurs résultats sont observés au sein d’équipes pluridisciplinaires. La Dre Leen Vermeulen (médecin généraliste, maison médicale Médecine pour le peuple, Hoboken) et la Dre Ruth Verniest (pédiatre et diabétologue pédiatrique à l’UZA et à l’AZ Klina) livrent leur expertise [1], de la prévention à l’identification des situations à risque.

Nommer avec tact

Les médecins actifs dans les structures de prévention telles que l’ONE ou les Centres psycho-médicaux-sociaux (PMS) sont généralement incités à éviter de donner des conseils non sollicités afin de préserver la relation avec les familles. Néanmoins, la mesure et le suivi de la taille et du poids font partie intégrante de leurs missions principales (tout comme pour les praticiens de première ligne en général).

Il est donc primordial de suivre attentivement la croissance et le développement des enfants et de signaler toute anomalie. « Il faut vraiment oser nommer la question du surpoids ou de l’obésité », déclare la Dre Ruth Verniest. « Cette approche permet d’éviter d’associer une stigmatisation excessive au problème. Il est également important de rappeler que de nombreux enfants et adolescents sont concernés par le surpoids, sans que cela n’enlève la nécessité d’intervenir », souligne la spécialiste.

Lors de ses consultations, elle s’appuie systématiquement sur les courbes de croissance et de poids, qu’elle présente aux parents pour appuyer ses propos: « Votre enfant grandit bien, mais nous constatons que le poids augmente un peu plus vite que la taille. L’aviez-vous déjà remarqué ? » « Pour les enfants un peu plus âgés, vous pouvez leur demander s’ils se sentent parfois préoccupés par leur poids. C’est un premier point d’ancrage pour envisager ensuite un suivi adapté », précise-t-elle. 

Lorsque le surpoids ou l’obésité chez l’enfant est abordé, certains parents ont tendance à minimiser la situation. « Ah Docteur, c’est dans nos gènes ! Les régimes ne fonctionnent pas dans notre famille, nous sommes simplement bien portants. » De même, les conseils alimentaires ou éducatifs peuvent être rejetés : « Ma fille n’aime pas les légumes. Croyez-moi, j’ai essayé ! » Des contraintes financières peuvent également limiter l’accès aux activités physiques. Les obstacles liés aux facteurs sociaux et à la motivation représentent un défi majeur dans la prise en charge. Par ailleurs, un environnement obésogène (alimentation déséquilibrée, temps d’écran excessif et déficit en sommeil) représente l’un des principaux facteurs de risque du développement et du maintien de l’obésité infantile.

« Les enfants et adolescents obèses présentent un risque cinq fois plus élevé de voir leur qualité de vie altérée. »

L’évaluation

L’anamnèse, à laquelle il est important de consacrer suffisamment de temps, permet de situer l’enfant dans son environnement familial et social. Il convient d’interroger les parents sur les habitudes alimentaires de l’enfant, qui devraient être variées, structurées et adaptées à ses besoins de croissance, tout en laissant à l’enfant le plaisir de manger (quatre points importants d’un comportement alimentaire sain). L’évaluation doit également prendre en compte l’activité physique, incluant le jeu, l’hygiène de sommeil et la manière dont l’enfant gère ses émotions. Les enfants en situation d’obésité présentent souvent des difficultés de régulation émotionnelle et affectives.

L’examen clinique comprend le calcul de l’IMC et la mesure de la tension artérielle. Une attention particulière doit être portée à l’évaluation de la puberté (si applicable), à la palpation de la thyroïde et à la recherche d’éventuelles anomalies orthopédiques (telles que des jambes en X ou des pieds plats). L’examen cutané est également essentiel : il   convient de rechercher, au niveau du cou et des plis inguinaux, la présence d’acanthosis nigricans, pouvant indiquer une résistance à l’insuline, ainsi que d’éventuelles stries, qui pourraient suggérer une pathologie sous-jacente telle que le syndrome de Cushing.

« Un bilan biologique métabolique à jeun peut également être utile », précise l’endocrinologue pédiatrique. Il inclut notamment la glycémie, l’insulinémie, l’ALAT, le cholestérol, les triglycérides et les paramètres thyroïdiens (TSH/T4). À la puberté, il est recommandé de compléter le bilan par les dosages hormonaux : LH, FSH, androstènedione, estradiol ou testostérone. En cas de cassure de la courbe de croissance, il est nécessaire de réaliser une cortisolurie de 24 heures.

Quand faut-il tirer la sonnette d’alarme ? « Un ralentissement de la croissance n’est pas normal », insiste la Dre Ruth Verniest. « Toute cassure de la courbe de croissance doit alerter sur une pathologie sous-jacente. Certains éléments constituent une indication pour un bilan génétique car il peut s’agir d’une obésité syndromique. Dans cette liste, on retrouve l’obésité avant l’âge de cinq ans, l’hyperphagie sévère, les anomalies cliniques, les troubles du neuro-développement ou les antécédents familiaux d’obésité sévère. »

« Certains troubles du comportement peuvent également constituer des signaux d’alerte. Par ailleurs, il est important de rester vigilant face aux troubles alimentaires dissimulés, où la dimension psychologique prédomine », ajoute la Dre Leen Vermeulen.

Attribution des soins

L’anamnèse et les examens initiaux permettent d’évaluer la gravité de l’obésité chez l’enfant. L’Edmonton Obesity Staging System for Pediatrics (EOSS-P) [2], développé au Canada, propose un cadre structuré de classification par stade. Plus le stade est élevé, plus le niveau de soins requis l’est aussi, allant des soins ambulatoires de première ligne, aux consultations spécialisées jusqu’à une prise en charge multidisciplinaire en milieu hospitalier. L’évaluation repose sur quatre dimensions, les ‘4 M‘ : mental, milieu (environnement), métabolique et mécanique.

Le domaine le plus atteint détermine non seulement le stade de l’obésité, mais oriente également la stratégie thérapeutique la plus appropriée. Ainsi, lorsque l’enfant présente principalement des épisodes d’hyperphagie émotionnelle, l’accompagnement psychologique doit être prioritaire. Si, en revanche, l’environnement familial constitue le principal obstacle, par exemple en cas de parents disposant de ressources limitées ou d’une compréhension insuffisante de la maladie, l’intervention doit cibler en priorité ce facteur.

« Les conseils concrets sont utiles », explique la Dre Leen Vermeulen. « J’ai ainsi fait découvrir à un petit patient les activités encadrées organisées à l’aire de jeux du quartier et demandé à sa mère de réduire les collations sucrées et salées. Ces mesures ont vraiment porté leurs fruits », déclare la médecin généraliste. « De plus, les enfants peuvent être pris en charge par un kinésithérapeute pour des séances d’activité physique sur prescription médicale. Comme ils hésitent souvent à rejoindre directement un club de sport, la kinésithérapie peut constituer une étape intermédiaire efficace. Il est important de toujours accompagner et motiver les parents afin que tout le monde soit sur la même longueur d’onde. »

L’obésité peut engendrer de multiples pathologies, tant sur le plan métabolique que mécanique. Chez l’adolescent, de graves complications peuvent apparaître : résistance à l’insuline, intolérance au glucose, diabète de type 2, hypertension artérielle, douleurs articulaires, syndrome d’apnée obstructive du sommeil (SAOS), syndrome des ovaires polykystiques (SOPK), … Outre les complications somatiques, l’obésité s’accompagne fréquemment d’une morbidité psychologique. « Les enfants et adolescents obèses présentent un risque cinq fois plus élevé de voir leur qualité de vie altérée. Un cercle vicieux peut également se développer entre une faible estime de soi et des habitudes alimentaires nocives », indique la Dre Vermeulen.

Le pronostic de l’obésité est défavorable. À l’échelle individuelle, un jeune enfant obèse présente un risque de 30 à 50 % de le rester à l’âge adulte, et ce risque atteint 70 à 90 % chez l’adolescent (12‑18 ans). À l’échelle de la population, l’incidence continue d’augmenter. « Si nous n’agissons pas immédiatement, un tiers des enfants sera en surpoids ou obèse d’ici 2050 », prévient la Dre Verniest.

Références : 
1. Formation continue de l’Université d’Anvers sur la prise en charge des personnes obèses. Voir : https://www.uantwerpen.be/nl/onderzoeksgroep/centrum-voor-huisartsgeneeskunde/navorming-huisartsgeneeskunde/updates/
2. Version adaptée au contexte belge (Inami – Trajet de soins pour l’obésité infantile):  https://www.inami.fgov.be/fr/professionnels/etablissements-et-services-de-soins/centres-specialises-et-centres-de-reeducation/trajet-de-soins-obesite-infantile-des-soins-multidisciplinaires-pour-mieux-traiter-vos-jeunes-patients

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Écrit par Dre Hade Scheyving26 septembre 2025

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