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Le droit de la santé sous le regard des hautes juridictions

Le droit est fait de textes légaux et réglementaires, mais c’est aussi la manière dont les juges interprètent ces textes à l’occasion de litiges concrets. Le droit de la santé n’échappe pas à cette réalité du contrôle juridictionnel, y compris celui des plus hautes juridictions. Dans la jurisprudence commentée, l’examen opéré par les juges repose tantôt sur le respect des droits fondamentaux tantôt sur l’observation de règles plus formelles.

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Dans la chronique de la jurisprudence du premier semestre de l’année 2024 publiée dans le Journal du Médecin, nous commentions deux arrêts de la Cour constitutionnelle rejetant des recours introduits contre des mesures d’interdiction de suppléments d’honoraires.

L’un d’entre eux portait sur l’article 11 de la loi du 13 novembre 2023 « portant des dispositions diverses en matière de santé », interdisant des suppléments d’honoraires pour certaines prestations d’imagerie médicale lourde.

Dans cette affaire, la Cour constitutionnelle avait été saisie d’une demande en suspension de la mesure d’interdiction.  La Cour avait rejeté la demande. Dans son appréciation, elle avait, sans procéder à une analyse des moyens, considéré qu’il n’y a pas urgence à statuer. Or, la reconnaissance de l’urgence est une condition nécessaire à l’exercice, par la Cour, de son pouvoir de suspendre une norme législative.

L'interdiction des suppléments en IRM validée

Concomitant à la demande de suspension, un recours en annulation a été introduit par les requérants devant la Cour à l’encontre de la même disposition. À nouveau, la Cour constitutionnelle a conclu au rejet du recours en annulation.

La mesure attaquée interdit aux radiologues de facturer des suppléments d’honoraires pour des prestations ambulatoires d’imagerie médicale lourde si elles sont urgentes ou si elles sont accomplies entre 8 heures et 18 heures un jour de semaine non férié. En dehors de ces horaires, les suppléments sont autorisés mais uniquement si la prestation a lieu à la demande expresse du patient après que le médecin l’ait préalablement informé des conséquences financières de sa demande et après avoir obtenu son autorisation écrite préalable.

Les requérants, auteurs du recours, soutenaient que la mesure aurait pour effet de diminuer la qualité des soins, de compromettre le droit au travail des radiologues non conventionnés en raison des pertes économiques engendrées et de porter atteinte à divers droits fondamentaux tels que le principe d’égalité et de non-discrimination, la liberté de réunion et le respect des biens.

La Cour a rejeté l’ensemble de ces arguments. Elle juge tout d’abord que les conséquences négatives alléguées quant au recul de la qualité de prestations de santé ne sont pas démontrées et souligne que de nombreux hôpitaux belges comptent des radiologues conventionnés sans que les prestations de soins ne soient de moindre qualité.

Selon la Cour, la disposition attaquée n’entraîne pas non plus une diminution du degré de protection du droit au travail des radiologues non conventionnés car elle ne les empêche ni de s’établir en tant que radiologues ou de continuer à exercer cette profession, ni de percevoir les honoraires applicables, en vertu des accords tarifaires, à tous les radiologues qui ne facturent pas de suppléments. Elle relève aussi que la disposition s’applique exclusivement aux prestations d’imagerie médicale lourde et qu’elle n’interdit pas de manière absolue la facturation de suppléments pour ces prestations.

Concernant le principe d’égalité, la Cour estime que les différences et les identités de traitement alléguées sont justifiées, au regard, notamment, de l’objectif d’accessibilité des soins. Elle souligne aussi les caractéristiques particulières des prestations d’imagerie médicale lourde : ces prestations sont essentielles pour le diagnostic médical, ne peuvent être dispensées qu’à l’hôpital et nécessitent des équipements dont certains sont financés dans une large mesure par les pouvoirs publics.

Quant à la question de la liberté de réunion, la Cour conclut que la disposition a certes pour effet que les radiologues non conventionnés doivent facturer les tarifs issus de l’accord tarifaire dans un certain nombre de cas mais cela ne signifie pas qu’ils sont ainsi obligés de s’associer dans les faits.

Enfin, en ce qui concerne le respect des biens, la Cour estime que la limitation imposée par la loi ne porte pas atteinte aux revenus acquis ou à des créances certaines avant l’entrée en vigueur de la disposition attaquée. Les radiologues non conventionnés ne peuvent pas légitimement s’attendre au maintien, sans modification à l’avenir, des dispositions qui régissent leurs honoraires. Le recours a donc été entièrement rejeté.

En biologie clinique, une autre limitation des suppléments approuvée

Par un arrêt rendu en septembre 2025, la Cour constitutionnelle a rejeté un recours en annulation dirigé contre l’article 23 de la loi du 6 novembre 2023 « portant des dispositions diverses en matière de soins de santé ».

Cette disposition encadre la facturation des prestations de biologie clinique. Concrètement, selon le législateur, même si les prestations exécutées ne répondent pas aux conditions requises pour être remboursées, le patient ne peut être tenu de payer des suppléments d’honoraires lorsque les conditions de remboursement sont remplies.

Les requérants, des associations professionnelles, des laboratoires et des particuliers, estimaient que cette mesure portait atteinte à une série de droits fondamentaux. Ils invoquaient, tout d’abord, une violation du principe de légalité et de sécurité juridique, au motif que la disposition rendrait difficile la détermination, sur la base de la nomenclature, du montant facturable pour une prestation donnée. La Cour rejette cet argument, considérant que l’incertitude découle de la complexité de la nomenclature elle-même et non de la disposition attaquée.

Les requérants soutenaient également que la mesure en cause violerait la liberté thérapeutique et le libre choix du praticien professionnel. La Cour estime qu’une éventuelle contrainte économique pesant sur l’usage de certaines prestations en dehors des modalités prévues dans la nomenclature ne suffit pas à caractériser une limitation illégitime de cette liberté. De même, le droit du patient de choisir librement son praticien n’est pas remis en cause selon la Cour.

Le raisonnement de la Cour se fonde sur le fait que les mesures d’interdiction des suppléments sont limitées à certaines situations et bien encadrées. On peut se demander si elle adopterait une même analyse à propos de mesures plus générales d’interdiction des suppléments.

Les arguments fondés sur une violation du principe d’égalité et de non-discrimination sont également rejetés. Selon les requérants, la loi traite de la même manière les prestataires conventionnés et non conventionnés sans justification raisonnable. La Cour constitutionnelle admet cette identité de traitement au regard de l’objectif poursuivi, à savoir la préservation de l’accessibilité des soins. La Cour considère en outre que, en ce qui concerne les prestataires de soins non conventionnés, la mesure ne comporte aucune interdiction de facturer, pour les prestations qui font l’objet d’une intervention de l’assurance obligatoire soins de santé, les suppléments d’honoraires rendus possibles par la législation applicable. Elle souligne par ailleurs la mesure attaquée ne prive pas les prestataires non conventionnés du choix d’adhérer ou non aux accord tarifaires.

Les griefs relatifs à la liberté d’établissement et à la liberté d’entreprendre sont également écartés. La Cour estime que, même à supposer une restriction à la libre prestation de services au sens du droit européen, celle-ci est justifiée par un objectif d’intérêt général : la protection de la santé publique.

Enfin, des griefs similaires à ceux soulevés dans un autre recours visant l’interdiction des suppléments d’honoraires pour certaines prestations d’imagerie médicale lourde ont été invoqués, portant notamment sur le droit de propriété, le droit au travail et la liberté de réunion. Là encore, la Cour rejette ces arguments en reprenant une analyse comparable à celle menée dans l’arrêt précédent. En définitive, la Cour constitutionnelle confirme la validité de la disposition contestée.

Dans ces deux arrêts à propos des suppléments d’honoraires – comme dans d’autres décisions antérieures – le raisonnement de la Cour se fonde sur le fait que la mesure d’interdiction des suppléments est limitée à certaines situations et bien encadrée. On peut se demander si la Cour adopterait une même analyse à propos de mesures plus générales d’interdiction ou de limitation des suppléments comme celles dont question dans le récent avant-projet de loi du ministre.

Le remboursement de la logopédie monodisciplinaire a tremblé pour certains enfants

À partir du 1er septembre 2024, les enfants présentant un QI ou QD inférieur à 86 pouvaient, sous certaines conditions, bénéficier d’une intervention de l’Inami pour le traitement en de logopédie monodisciplinaire des troubles du développement du langage et de la dysphasie. Cette mesure, constituant pourtant une avancée importante pour l’accessibilité des soins, a été annulée par le Conseil d’État.           

La raison de cette annulation est purement formelle :  le cadre réglementaire qui la fonde, à savoir l’arrêté royal du 17 juillet 2024, ne respecte pas les conditions posées par la loi.

L’article 2 de la loi de 2019 habilite le Roi à fixer des règles de cumul entre logopédie monodisciplinaire et rééducation pluridisciplinaire, à la condition que cela se fasse sur la base d’une recherche pluridisciplinaire approuvée par la Commission de conventions avec les logopèdes. Or, aucune recherche préalable n’a été menée. Le Conseil d'État rejette l’argument selon lequel une telle étude pourrait valablement être postérieure : le texte de la loi est clair, il impose une condition préalable, sans marge d’appréciation.

L’arrêt rappelle que l’accessibilité aux soins ne peut se faire au mépris du cadre légal.

Ainsi, lorsqu’une loi conditionne l’intervention du Roi à une étude préalable ou à un avis spécifique, ces éléments ne peuvent être contournés ou différés. L’arrêt rappelle que l’urgence ou la faisabilité politique ne peut justifier la méconnaissance d’une exigence légale claire. L’argument tiré de l’impossibilité matérielle de réaliser l’étude en amont est balayé, le Conseil d’État considérant que ce retard relevait d’une inertie administrative et non d’une impossibilité juridique.

Au terme de son arrêt, le Conseil d’Etat a admis que les traitements engagés avant le 15 septembre 2025 puissent se poursuivre. À partir de cette date, l’arrêté n’a plus produit d’effet. Ainsi, tout en tenant compte de la réalité de terrain, l’arrêt rappelle que l’accessibilité aux soins ne peut se faire au mépris du cadre légal : le Roi ne peut revendiquer l'urgence sociale pour contourner les exigences de la loi qu’il doit exécuter. Un nouvel arrêté au contenu similaire a été adopté en date du 21 juin 2025 et est entré en vigueur, pour l’essentiel, le 1er janvier 2025.  Un recours en suspension a à nouveau été introduit à son encontre… Affaire à suivre. 

Rappel de l’importance du consentement éclairé du patient

En 2016, une patiente espagnole fut diagnostiquée d’un cancer affectant son sein droit. Une tumeur ayant été détectée suite à une IRM, la patiente avait accepté une chirurgie conservatrice du sein. Elle avait, à cet effet, signé un formulaire de consentement éclairé. Le dossier médical de la patiente contenait par ailleurs une note indiquant « Les doutes ont été levés. Elle comprend et consent à l’intervention », sans toutefois que le contenu de ces échanges ne soit consigné dans ledit dossier médical. Au cours de l’opération, a eu lieu une modification de la technique chirurgicale : le mamelon et l’aréole de la patiente ont été retirés. 

Mécontente, la patiente a alors agi devant les tribunaux espagnols. Elle faisait valoir qu’elle avait donné son consentement pour une chirurgie conservatrice du sein mais qu’elle n’avait pas été informée que l’ablation du mamelon et de l’aréole était une possibilité. Les juridictions espagnoles n’ont pas fait droit à ses prétentions, considérant notamment que le formulaire de consentement signé par la requérante était adéquat et suffisant.

S’écartant de l’appréciation des juridictions nationales, la Cour européenne des droits de l’homme condamne l’Espagne, dans son arrêt S.O. c. Espagne du 26 juin 2025, pour avoir manqué à son obligation de protéger une patiente opérée sans véritable consentement éclairé. Dans son arrêt, la Cour rappelle que les États ont l’obligation d’adopter les mesures nécessaires pour que les médecins informent préalablement leur patient de manière à lui permettre de consentir en toute connaissance de cause.

La Cour constate que les dispositions du droit espagnol ne comportent aucune lacune à cet égard. En revanche, elle considère que la mise en œuvre concrète de cadre juridique n’a pas permis de garantir l’autonomie de la patiente. D’une part, la Cour relève que le formulaire de consentement fourni à la patiente était lacunaire car il ne contenait pas d’informations suffisantes sur l’intervention et sur ses risques, permettant à la patiente de prendre une décision éclairée. D’autre part, bien que le dossier médical mentionnait l’opportunité donnée à la patiente de poser ses questions aux médecins, la nature de ces questions et les explications supplémentaires fournies n’ont pas été documentées. Il en résulte, selon la Cour, une incertitude quant aux informations réellement communiquées, notamment sur la possibilité spécifique d’une ablation.

Cet arrêt rappelle que le respect de l’autonomie du patient et l’instauration un vrai dialogue entre médecin et patient, au-delà des formalités administratives, sont essentiels.

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Écrit par Sarah Ben Messaoud & Elvira Barbé, avocates15 septembre 2025

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