Paracétamol, grossesse et autisme : la vérité face aux intox
Les experts démontent les propos de Trump
À la Maison Blanche, Donald Trump a affirmé que le paracétamol pourrait être une cause d’autisme, relayant des thèses non prouvées et un discours antivaccin. La communauté scientifique, des États-Unis à l’Europe, a immédiatement réagi.
Dix minutes. C’est le temps qu’il a fallu à Donald Trump pour relancer, depuis la tribune de la Maison Blanche, une controverse scientifique déjà écartée par la majorité des chercheurs. Entouré de son ministre de la Santé Robert F. Kennedy Jr. et du commissaire de la FDA, Marty Makary, le président américain a appelé les femmes enceintes à « se battre pour ne pas prendre de Tylenol », nom commercial du paracétamol aux Etats-Unis. « Don’t take it. Fight like hell not to take it »1, a-t-il martelé, invoquant un risque de provoquer l’autisme.
Le chef de l’État a multiplié les formules spectaculaires : les vaccins injectés aux nourrissons seraient trop nombreux, « comme si on vaccinait un cheval », l’hépatite B ne concernerait pas les nouveau-nés car « elle se transmet par voie sexuelle », et les Amish « n’auraient pas d’autisme car ils ne prennent pas tous ces médicaments ». À défaut de preuves, Trump a revendiqué son intuition : « The MMR – the mumps, measles, and… the three should be taken separately. This is based on what I feel. »
Une rhétorique familière, rappelant les prises de parole de son premier mandat lorsqu’il vantait des traitements non éprouvés contre le covid-19. Sauf que si Trump n’avait pas de mal à prononcer le mot « hydroxychloroquine », c’est beaucoup plus compliqué avec le mot « acétaminophène».
« Je crois pouvoir dire qu’il existe certains groupes de personnes qui ne se vaccinent pas, ne prennent aucun médicament, et qui n’ont pas d’autisme. Pas d’autisme. Est-ce que ça ne vous dit rien ? » lance Donald Trump, avant de se tourner vers son administration : « C’est bien exact, ce que je viens de dire ? »
La réaction immédiate des experts
La sortie présidentielle a aussitôt déclenché une vague de réactions dans le monde médical. « Non, le paracétamol ne provoque pas l’autisme », a rappelé le Pr Pierre Oswald (HUB) sur LinkedIn. Pour le psychiatre, associer un médicament aussi courant à la cause unique d’un trouble complexe est « irresponsable et dangereux », car cela pourrait dissuader les femmes enceintes de traiter une fièvre, pourtant risquée pour le fœtus.
Même tonalité du côté de Jean-Michel Dogné, professeur à l’Université de Namur et expert auprès de l’Agence européenne des médicaments (EMA). « À ce jour, il n’existe pas de preuve que le paracétamol cause l’autisme. Plusieurs études ont décrit une association statistique, en particulier lors d’un usage chronique et prolongé, mais sans démontrer de lien de causalité. » Il rappelle que ce médicament reste « le choix de référence pour la fièvre et la douleur pendant la grossesse, à condition d’en limiter la dose et la durée ».
L’EMA, de son côté, a publié un communiqué inhabituellement ferme le 23 septembre : « Le paracétamol reste une option importante pour traiter la douleur ou la fièvre chez les femmes enceintes. Nous n’avons trouvé aucune preuve qu’il provoque l’autisme chez l’enfant », a déclaré son directeur médical, Steffen Thirstrup.
Enfin, l’industrie pharmaceutique, par la voix de Bachi, l’association belge regroupant les entreprises du secteur des médicaments en vente libre, a dénoncé « des annonces sensationnelles sans fondement scientifique solide ». Elle avertit : « Ces affirmations risquent de semer la confusion parmi les patients, retardant ou influençant l’accès à des traitements nécessaires. La santé publique doit reposer sur la science et sur des données fiables, pas sur des “on dit”. »
Que dit réellement la science ?
Depuis deux décennies, les chercheurs explorent un éventuel lien entre l’exposition prénatale au paracétamol et les troubles du neurodéveloppement. Certaines études ont observé une association statistique, mais aucune n’a démontré un lien de cause à effet.
Une méga-étude publiée en 2024 dans JAMA a analysé les données médicales de plus de 2,4 millions d’enfants en Suède2. Résultat : après avoir pris en compte les facteurs confondants, comme la fièvre maternelle ou l’hérédité, aucun lien causal n’a pu être établi entre le paracétamol pendant la grossesse et l’autisme, le TDAH ou la déficience intellectuelle. Les auteurs ont même comparé des fratries exposées ou non au médicament, confirmant que les différences observées relevaient avant tout de la génétique et de l’environnement familial.
Une revue scientifique récente, menée par des équipes de Harvard et du Mount Sinai, a compilé 46 études disponibles3. La moitié suggérait une association avec l’autisme ou le TDAH, mais les auteurs ont souligné que ces résultats étaient entachés de biais et d’incertitudes. « Nous ne pouvons pas répondre à la question de la causalité », a précisé l’épidémiologiste Diddier Prada, premier auteur de l’analyse, au New York Times.
Le consensus actuel est clair : l’autisme est un trouble multifactoriel, où interviennent génétique, environnement et facteurs épigénétiques. Réduire son origine à la prise d’un seul médicament est scientifiquement infondé. Les autorités sanitaires, de l’OMS à l’EMA en passant par la FDA, maintiennent donc la même ligne : le paracétamol reste autorisé chez la femme enceinte, mais doit être utilisé avec prudence – à la dose minimale efficace, pour la durée la plus courte et uniquement si nécessaire.
Fact-checking du discours de Trump
« Le Tylenol cause l’autisme » → Infondé.
Aucune preuve de causalité n’existe. Les grandes études épidémiologiques montrent des associations faibles et incertaines, et la méga-étude suédoise de 2024 a formellement exclu tout lien direct.
« Les Amish n’ont pas d’autisme » → Faux.
Des cas sont documentés dans cette communauté. Leur mode de vie, éloigné des services de santé, explique surtout un sous-diagnostic, et non une absence du trouble.
« Les nourrissons reçoivent 80 vaccins » → Faux.
Le calendrier vaccinal américain prévoit une vingtaine d’injections réparties sur les deux premières années de vie. En Europe comme aux États-Unis, les vaccins combinés sont conçus pour limiter les piqûres, pas les multiplier.
« L’hépatite B ne concerne pas les nouveau-nés » → Faux.
Le virus peut être transmis de la mère à l’enfant pendant la grossesse ou à l’accouchement. La vaccination précoce protège donc d’un risque réel, ce qui justifie sa recommandation par les autorités sanitaires.
« Le vaccin ROR devrait être administré en trois injections séparées » → Infondé.
La triple vaccination (rougeole, oreillons, rubéole) est sûre et efficace depuis des décennies. Aucun bénéfice n’a été démontré à séparer les doses.
Une instrumentalisation politique de l’autisme
Au-delà des annonces scientifiques, le meeting de la Maison Blanche ressemblait surtout à un exercice politique. Donald Trump l’a présenté comme « une avancée historique pour combattre la crise de l’autisme ». Dans les faits, il s’agissait essentiellement de l’attribution de treize bourses pour des projets de recherche, sans détails sur leur contenu. Au-delà de l’attaque contre le paracétamol et les vaccins, ses proches collaborateurs ont aussi mis en avant un prétendu traitement : le leucovorin, un médicament à base de vitamine B. Étudié seulement sur quelques dizaines de patients, il a pourtant été présenté comme une piste majeure.
Le reste du discours a tenu de la tribune idéologique : dénonciation des « excès » de la médecine moderne, diatribes contre les vaccins et insinuations sur des communautés « préservées » de l’autisme parce qu’elles refuseraient les médicaments. Une rhétorique qui reprend les codes de la campagne MAHA, Make America Healthy Again, où la santé devient un terrain de mobilisation électorale.
Ce choix n’est pas anodin. En associant l’autisme à un médicament ou à la vaccination, Trump capitalise sur des peurs profondément ancrées dans une partie de l’opinion publique, déjà ébranlée par la pandémie de covid-19 et les polémiques sur l’obligation vaccinale.
En somme, le discours du président aura davantage servi de caisse de résonance politique que d’annonce médicale. Heureusement, les experts veillent et les institutions – en Europe comme en Belgique – ont très vite réagi. Mais on le sait désormais : il faut du temps et de l’énergie pour combattre la désinformation. Trump a semé le doute en dix minutes. Combien de temps faudra-t-il pour rétablir la vérité ?
1. La rédaction a choisi de laisser les citations du président américain dans sa langue maternelle pour témoigner du choix du vocabulaire et du ton employés.
2. Ahlqvist VH, Sjöqvist H, Dalman C, Karlsson H, Stephansson O, Johansson S, Magnusson C, Gardner RM, Lee BK. Acetaminophen Use During Pregnancy and Children's Risk of Autism, ADHD, and Intellectual Disability. JAMA. 2024 Apr 9;331(14):1205-1214. doi: 10.1001/jama.2024.3172. PMID: 38592388; PMCID: PMC11004836.
3. Prada D, Ritz B, Bauer AZ, Baccarelli AA. Evaluation of the evidence on acetaminophen use and neurodevelopmental disorders using the Navigation Guide methodology. Environ Health. 2025 Aug 14;24(1):56. doi: 10.1186/s12940-025-01208-0. PMID: 40804730; PMCID: PMC12351903.