Pierre-Louis Deudon : « Nous devons garder l’unité des généralistes dans un contexte budgétaire tendu »
Le nouveau président de la FAMGB (Fédération des Associations de médecins généralistes de Bruxelles) prend ses fonctions dans un contexte mouvementé, entre réformes fédérales controversées, incertitudes budgétaires régionales et tensions croissantes sur le terrain. Entretien avec un médecin engagé mais soucieux de neutralité, qui veut incarner une présidence fédératrice et unificatrice de tous les MG bruxellois y compris flamands.

Un entretien de Nicolas de Pape
Le journal du Médecin : Vous avez été élu récemment à la tête de la FAMGB. Comment s’est passée cette nomination en amont et en aval ?
Pierre-Louis Deudon : L’élection a eu lieu il y a deux semaines, et elle s’est faite à l’unanimité, ce qui montre un soutien clair de la Fédération. Il n’y avait pas d’autre candidat en lice, et j’étais déjà engagé dans la structure, ayant présidé mon association locale auparavant. C’est donc une continuité. J’avais aussi été coopté, ce qui a facilité cette prise de fonction. Officiellement, ma présidence a commencé mardi dernier (le 24 juin, NdlR).
Vous succédez à Michel De Volder qui part à l’Absym. Quel regard portez-vous sur son départ ?
Michel quitte ses fonctions avec la volonté de s’engager davantage sur le terrain politique, ce qu’il ne faisait pas tant qu’il était président, afin de respecter la neutralité de la fédération. À mes yeux, c’est une forme de cohérence. Il a toujours défendu une ligne indépendante et équilibrée. Une fois libéré de cette fonction, il peut désormais s’exprimer plus librement, selon ses propres convictions.
Quels sont selon vous les grands défis qui attendent les généralistes à Bruxelles ?
Ils sont nombreux. D’abord, le contexte budgétaire bruxellois est préoccupant. On commence cette nouvelle législature sur une base financière fragile. La FAMGB est en bonne santé, et l’un de mes objectifs est de préserver cet héritage. Mais nous constatons déjà des difficultés : certaines associations partenaires rencontrent des problèmes de financement ou de retard de paiement liés au gouvernement bruxellois en affaires courantes (depuis plus d’un an, NdlR). Cette pression budgétaire s’ajoute à un contexte plus général de réformes fédérales, qui créent des tensions dans le corps médical, notamment entre médecins conventionnés et non-conventionnés, ou entre pratiques individuelles et maisons médicales.
Justement, ces clivages internes sont-ils votre plus grande inquiétude ?
Oui, ce sont des fractures qui, si elles s’installent durablement, risquent de nuire à la cohésion du secteur. Mon objectif, comme président, est de maintenir l’unité du corps médical bruxellois, de ne pas alimenter ces oppositions. Depuis des années, nous avons construit une fédération inclusive. Il faudra la défendre dans un environnement qui tend au clivage.
Pas de gouvernement bruxellois
À Bruxelles, un nouveau gouvernement régional se fait attendre. Quelles conséquences cela peut-il avoir pour vous concrètement ?
Pour 2025 et sans doute 2026, les budgets déjà validés nous permettent d’avancer avec une relative sérénité. Mais l’incertitude demeure sur les années suivantes. Nous attendons des clarifications sur les subventions liées à nos missions régionales. Ce flou nous empêche d’anticiper, alors même que nous aurions besoin de réformes structurelles pour répondre aux défis de la première ligne. Ce qui nous inquiète surtout, c’est le sort d’autres prestataires : s’ils sont frappés par des coupes, cela aura un impact indirect mais réel sur notre fonctionnement.
La médecine générale souffre aussi d’un manque de reconnaissance dans certaines communautés issues de l’immigration. Est-ce toujours le cas ?
C’est un problème persistant. Il s’agit d’un choc culturel. De nombreuses personnes viennent de pays où la première ligne n’existe pas. Le généraliste n’a pas de rôle pivot, comme ici. Beaucoup ne comprennent pas notre système de santé. Ce n’est pas qu’une question de langue ou d’origine. Des francophones d’origines diverses me disent qu’ils mettent du temps à comprendre comment tout cela fonctionne. Le manque de clarté du système belge n’aide pas à cette intégration.
Justement : les problèmes de langue compliquent-ils aussi les consultations ?
Bien sûr. On fait avec. Il y a du bricolage, des bénévoles, des applications de traduction. Certains outils comme Google Translate nous rendent bien service, même si ce n’est pas parfait. À l’avenir, l’intelligence artificielle pourra sans doute nous aider davantage. J’entends des confrères qui y recourent déjà dans certains cas.
Forte pauvreté à Bruxelles
Bruxelles est aussi confrontée à une forte pauvreté, malgré un PIB élevé. Comment cela affecte-t-il la médecine générale ?
C’est un défi quotidien. Les patients précaires sont en moins bonne santé, ils cumulent les difficultés sociales et médicales. Et le système de soins peine à répondre à leurs besoins. Ce qui est dramatique, c’est que des mesures de soutien structurelles, ciblées pour ces groupes, n’ont pas été mises en place. La prévention, notamment, est insuffisamment financée. Et nous, médecins, nous nous retrouvons à jouer le rôle d’assistants sociaux. Ce n’est pas notre métier. Nous n’y sommes pas formés, et cela surcharge nos consultations.
A-t-on assez de médecins généralistes par habitant à Bruxelles ?
Officiellement, on tient le coup. Mais c’est grâce à la bonne volonté de nombreux médecins qui travaillent plus qu’ils ne le devraient. Si tous partaient à la retraite au moment souhaité, ou réduisaient leurs horaires comme ils le souhaitent, ce serait une catastrophe. L’Observatoire de la santé indique que près de 30 % des Bruxellois vivent dans des zones sous-dotées. Donc non, nous ne sommes pas assez nombreux, surtout au vu des tâches croissantes qui nous sont confiées.
« Ce qui me dérange profondément, c’est la dérive autoritaire que la réforme [Vandenbroucke] contient »
Quel est votre regard sur la réforme fédérale en cours, notamment l’avant-projet de loi Vandenbroucke ?
Je suis très inquiet. Le gouvernement met en avant l’aspect financier, mais ce n’est pas ce qui nous concerne le plus. Ce qui me dérange profondément, c’est la dérive autoritaire que cette réforme contient. Les lieux de concertation deviennent de simples organes d’avis, la possibilité de retirer un numéro Inami devient trop floue… Même si le ministre actuel dit ne pas vouloir de dérives, qui nous dit que le prochain n’aura pas une vision plus brutale ? Ce texte reflète une logique de sanction et de méfiance, où les médecins sont vus comme des abuseurs et les patients comme des profiteurs. C’est un discours dévalorisant, qui nie notre engagement et fragilise la démocratie sanitaire.
Quelles relations entretenez-vous avec les généralistes néerlandophones de Bruxelles ?
Elles sont bonnes et apaisées. Depuis que la garde médicale bruxelloise est bien organisée, la coopération s’est renforcée. On se voit régulièrement, on échange, on essaie d’être alignés. J’espère que ma présidence permettra de poursuivre cette dynamique fédératrice. Il ne s’agit pas de gommer les différences, mais de ne pas en faire un obstacle.
Les relations avec les hôpitaux bruxellois sont souvent difficiles. Qu’en est-il aujourd’hui ?
C’est un vieux serpent de mer. À chaque mandat, on se repose la même question. Il y a une volonté d’améliorer les choses, mais les liens restent fragiles. Le problème, c’est que pour les hôpitaux, la première ligne n’est pas toujours une priorité : ça ne rapporte rien. Et pourtant, le manque de communication et de coordination génère une surcharge de travail chez nous. C’est pourquoi nous relançons une commission hôpitaux, pour remettre du lien, du dialogue et résoudre ces problèmes de transmission et de contact.
« La santé n’est pas un poste de dépenses comme un autre »
Quel message adressez-vous à vos membres et aux autorités ?
À mes collègues, je dis : restons unis. Apprenons à nous connaître, à dépasser nos différences. Le métier de généraliste est pluriel, mais il y a un socle commun : le soin, l’écoute, l’engagement. À l’extérieur, aux décideurs politiques, je veux rappeler que la santé n’est pas un poste de dépense comme un autre. On a trop souvent une logique de contrôle, d’économie, de suspicion. Il est temps d’avoir une vision managériale, humaine, centrée sur la qualité et pas seulement sur les chiffres.
Vous étiez affilié au GBO. Qu’en est-il de vos relations avec les syndicats médicaux ?
J’ai quitté le GBO il y a plus d’un an pour préserver ma neutralité. Je suis en contact régulier avec tous les syndicats. Mon rôle n’est pas de porter mes opinions personnelles, mais de représenter les généralistes bruxellois dans toute leur diversité. Je laisse les syndicats gérer le champ politique et la négociation. La FAMGB a pour mission de représenter, de relayer, de coordonner, pas de faire de l’activisme. Et croyez-moi, cela suffit déjà largement.