Le journal du médecin

Le projet de loi sur la médecine libérale rompt un équilibre déjà fragile

20 juin 2025 - Le ministre de la Santé Frank Vandenbroucke entend supprimer les fondements de la médecine libérale. Avec des conséquences pour les patients, comme pour l’attractivité d’une profession déjà exigeante [1].

illuUn système de santé repose sur un équilibre entre la qualité des soins, leur coût, et l’attractivité du métier pour les soignants. Un équilibre déjà précaire, mis à mal par le projet de loi du ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke, qui tend à supprimer les fondements de la médecine libérale. Des mesures qui relèvent, au mieux, d’un socio-populisme idéaliste, au pire, d’une démagogie utopique, sans réelle évaluation des conséquences directes pour le patient. En tant que jeune chirurgien orthopédiste, bientôt rentré de deux années de formation à l’étranger – en France et au Canada – j’ai pu observer les dérives d’une séparation stricte entre système public et pratique libérale.

Le déconventionnement partiel, cette soupape essentielle qui permet d’absorber le flux de patients et de réduire les délais de prise en charge, est dans le viseur. Le ministre veut sa disparition. Cela signifie la fin du médecin hospitalier conventionné qui, une fois par semaine, consulte dans son cabinet de proximité, en soirée ou le week-end, et propose une médecine personnalisée, de proximité, sans contrainte de temps. C’est aussi la fin du professeur, chef de service hospitalo-universitaire, reconnu, qui organise quelques consultations d’expertises, pour lesquelles des patients lui sont expressément adressés depuis des hôpitaux voisins, voire étrangers. La fin, aussi, de ces médecins libéraux hyperspécialisés, investis dans des actes chirurgicaux d’expertise à l’hôpital public, pour lesquels aucun poste plein-temps n’est disponible.

Explosion des délais d’attente

Oui, la médecine conventionnée dans un cabinet libéral est une belle idée, mais pas sans revalorisation. L’orthopédiste que je suis va faire son orthopédiste, et parler de ce qu’il connaît, l’orthopédie. Une consultation spécialisée en orthopédie est actuellement valorisée à 32,84 euros (ou 26,08 euros sans agrément). Or, ma vision de la médecine libérale, c’est une pratique personnalisée. Mon hyperspécialisation – chirurgie rachidienne et orthopédie pédiatrique – est particulièrement chronophage. J’aspire à offrir 20 à 30 minutes de consultation à mes patients, pour un premier rendez-vous. Je dois intégrer les charges du cabinet, le secrétariat, les absences, les certificats, les courriels aux patients, la comptabilité, la formation continue dans les 32,84 euros reçus pour la consultation. Est-ce viable dans un cabinet de proximité ? Difficilement. Est-ce attractif pour un jeune médecin après 13 années d’études ? Certainement pas. Si on perd ça, on perd le cabinet libéral, mais aussi la pratique de proximité, l’accessibilité en soirée, ou le week-end. Et on explose les délais de consultation chez le spécialiste.

En supprimant le déconventionnement partiel, le risque majeur est de provoquer un exode vers un déconventionnement total. Les professeurs, les experts en pratique mixte, ceux dont la spécialité ne requiert pas forcément un plateau technique universitaire, vont se déconventionner en bloc. Leur expertise ne sera plus accessible que dans un cadre libéral.

Au Canada, où j’ai exercé, le système, largement inspiré du modèle Beveridge (NHS britannique), empêche relativement strictement la pratique mixte. Résultat : malgré des salaires hospitaliers bien supérieurs à ceux de la Belgique, les délais de consultation sont ahurissants – de six mois à un an, voire plus pour la chirurgie – avec un impact direct sur la qualité des soins. En France, un système dual perdure mais s’effondre : le praticien public est épuisé, otage de son hyperspécialité mais nourri par la richesse de son centre de référence, à qui on autorise, non sans mal, des consultations libérales complémentaires anecdotiques, ce qui provoque un exode du système public. Avec pour conséquence une fuite de ces praticiens vers le “tout libéral” et une inaccessibilité de leur expertise, ainsi que des difficultés de recruter des praticiens pour des carrières universitaires exigeantes.

Aggraver la pénurie

Un système de santé est une affaire d’équilibre. Le système belge, jusqu’ici, avait trouvé le sien. Il garantissait l’accessibilité universelle à tous les médecins, notamment en protégeant les personnes les plus précaires (VIPO, BIM…), et évitait encore aujourd’hui une médecine à deux vitesses. Monsieur Vandenbroucke veut casser cette dynamique. Et ce, au moment même où on ignore comment remplacer les milliers de médecins partant à la retraite.

Rendre la profession moins attractive, c’est aggraver la pénurie.
C’est décourager ceux qui pourraient demain s’engager
dans une voie déjà exigeante. Le jeune médecin que je suis
ne veut pas voir ce système déséquilibré.

Le plafonnement des dépassements d’honoraires à 25% (ambulatoire) et 125% (hospitalisation) s’inscrit dans une politique simpliste, démagogique, de déconstruction de la médecine libérale. Il constitue surtout un cadeau aux assureurs privés et n’impacte en rien le budget de santé. Car dans la réalité, ces dépassements sont pris en charge non par le patient, mais par des assurances – souvent offertes par l’employeur. En six ans de formation dans autant d’hôpitaux, je n’ai jamais vu un médecin imposer un dépassement non couvert à un patient. Ces honoraires sont une option pour ceux qui consultent un médecin référent, sur recommandation, pour un suivi personnalisé.

100 % des actes réalisés par des médecins non conventionnés
ne sont pas systématiquement assortis de dépassements.

Rendre la profession moins attractive, c’est aggraver la pénurie. C’est décourager ceux qui pourraient demain s’engager dans une voie déjà exigeante. Le jeune médecin que je suis ne veut pas voir ce système déséquilibré.

Edouard Haumont
Le Dr Edouard Haumont

Comme de nombreux jeunes collègues, je défends une médecine accessible, sans dérive, mais sans naïveté non plus. Oui, il faut rationaliser les dépenses. Mais est-ce que cela commence par la dévalorisation des prestataires de soins? Je ne le pense pas. La priorité doit aller à la rationalisation de l’offre de soins, à l’organisation des centres de référence, à la pertinence des actes. Ce sont ces leviers qu’il faut actionner, pas affaiblir une profession déjà fragilisée.

[1] Cette carte blanche est parue dans les pages Débats de La Libre Belgique du 19 juin.

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Écrit par Dr Édouard Haumont, chirurgien
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