DOSSIER JM Academy
Troubles de l'humeur
La dépression bipolaire
Dans les troubles bipolaires, il y a une prédominance des humeurs vers le bas. Comment reconnaitre ce type particulier de dépression ? Et comment traiter adéquatement et suivre ces personnes, notamment en première ligne ?

Les fluctuations d’humeur sont tout à fait normales et inhérentes à l’expérience humaine. Chez les personnes bipolaires, cependant, ces humeurs sont d’une ampleur disproportionnée par rapport aux évènements de vie qui les amorcent… quand il y en a ! « Parfois, il n’y a pas de déclencheur à proprement parler », explique le Pr Charles Kornreich, directeur du service de psychiatrie du CHU Brugmann. « Et le “shift” entre l’équilibre et le déséquilibre ou entre les phases est brutal : la personne peut basculer d’un jour à l’autre. Disproportion et soudaineté sont donc deux signaux qui doivent mettre sur la piste d’une bipolarité. »
Les deux types de bipolarité
À l’instar de la plupart des pathologies psychiatriques, le trouble bipolaire commence à se manifester typiquement fin de l’adolescence, début de l’âge adulte. Pourtant, il faut en moyenne une décennie pour l’identifier clairement. Ceci s’explique notamment par le type de bipolarité et l’ampleur variable des phases.
- Le trouble bipolaire de type 1 : les phases de dépression profonde alternent avec les phases maniaques – dont le côté « spectaculaire » facilite d’ailleurs le diagnostic. En effet, la personne peut manifester un sentiment de toute-puissance, une mégalomanie, une énergie sans sommeil, faire des dépenses extravagantes ou encore avoir une sexualité débridée. Autant de comportements incompatibles avec un fonctionnement normal et qui nécessitent souvent une hospitalisation (forcée).
- Dans le trouble bipolaire de type 2, on parle plutôt de phase hypomane : la personne est dans un état d’esprit très (trop) positif, mais elle peut encore fonctionner au niveau familial, social et professionnel.
Le type 2 est trois fois plus courant (prévalence de 1,5 % dans la population belge vs. 0,5 % pour le type 1) et concerne davantage de femmes, mais il y a une continuité entre ces formes : les bipolaires de type 2 peuvent connaitre l’une ou l’autre grande phase maniaque au cours de leur vie. « Dans tous les cas, il est indispensable de repérer et de prendre en charge chaque cas car cette pathologie a un très haut taux de “suicidabilité” », explique le Pr Kornreich. « Les bipolaires de type 1 font 30 fois (!) plus de tentatives de suicide que la population générale. La moitié de ces personnes en font au moins une au cours de leur vie ; elles en décèdent dans 15 à 20 % des cas. »
Reconnaitre la dépression bipolaire
Comme souvent en psychiatrie, la difficulté tient à poser le bon diagnostic et à exclure d’autres troubles. Outre sa disproportion, voire son inadéquation avec d’éventuels déclencheurs, la dépression bipolaire peut comporter certaines caractéristiques qui devraient alerter. Notamment :
- Un déclenchement soudain et brutal ;
- De l’hypersomnie ;
- De l’hyperphagie ;
- Un ralentissement psychomoteur.
À la différence d’une dépression « classique », la dépression bipolaire s’accompagne de nettement moins de plaintes somatiques. Il existe aussi des phases « mixtes », mélangeant des caractéristiques dépressives et hypomanes, et caractérisées par de l’agitation, de l’irritabilité et des troubles attentionnels.
Toutefois, les phases « up and down » ne sont pas propres aux troubles bipolaires. Par exemple, l’hyperactivité dans un TDAH peut être confondue avec une phase hypomane ou maniaque. « Les assuétudes (alcool, drogues, médicaments type benzodiazépines, etc.) peuvent aussi donner des tableaux dépressifs et hypomanes », rappelle le psychiatre. « Il ne faut donc pas oublier d’interroger la personne au sujet de sa (ses) consommation(s). »
« Il est indispensable de repérer et de prendre en charge chaque cas car cette pathologie a un très haut taux de “suicidabilité”. »
Autre diagnostic différentiel : la personnalité borderline. Compliquée et délicate à diagnostiquer, cette catégorie à part dans le DSM-V donne des manifestations semblables aux troubles bipolaires. « Cela dit, les troubles de l’attachement et des traumas (familiaux) importants sont au centre du vécu des borderline qui, en outre, ont tendance à se stabiliser aux alentours de la quarantaine. Au contraire des troubles bipolaires qui persistent dans le temps. »
Évidemment, ces pathologies peuvent être concomitantes. Nombre de personnes bipolaires – qu’elles aient été diagnostiquées comme telles ou pas – ont aussi l’une ou l’autre assuétude, une personnalité borderline, un trouble de l’attention, etc. Dans le doute, il ne faut pas hésiter à les envoyer chez un ou une psychiatre.
Le traitement par lithium
Les épisodes dépressifs de la bipolarité ont aussi la particularité de résister aux antidépresseurs. Ces médicaments-là sont d’ailleurs plutôt contre-indiqués, surtout au long cours, car on les soupçonne d’accélérer les rythmes de phases. Mais alors, comment traiter la dépression et le trouble bipolaire en général ? « Le lithium reste la meilleure option », répond le psychiatre. « Les médecins généralistes s’en méfient et rechignent à en prescrire, à cause des toxicités rénales et thyroïdiennes, mais ce risque doit être relativisé : si l’on reste dans des zones thérapeutiques correctes – à savoir une concentration sanguine comprise entre 0,6 et 0,8 ml/L – et si la personne veille à s’hydrater suffisamment, surtout par temps chaud, le lithium est efficace et bien toléré. »
De plus, le lithium a un effet neuroprotecteur au niveau de l’hippocampe. En effet, celui-ci a tendance à s’atrophier sous l’effet des phases dépressives et maniaques. Ce qui explique pourquoi nombre de bipolaires finissent par développer une démence. En diminuant la fréquence et la sévérité des phases, le lithium limite ce risque. « Les généralistes peuvent tout à fait suivre ces patients et patientes au long cours. Pour ce faire, je leur conseille de vérifier régulièrement la concentration du lithium dans le sang, l’état de leur thyroïde et leur fonction rénale. D’abord tous les trois mois puis, s’ils et elles sont stables, une fois par an. »
Traitements alternatifs ou complémentaires
Si le lithium ne fonctionne ou ne suffit pas, d’autres médicaments peuvent être envisagés.
- Les antiépileptiques agissent probablement sur l’excitabilité des neurones impliqués dans les troubles bipolaires. Certaines précautions doivent toutefois être prises : avec le valproate de sodium et la carbamazépine, il faut vérifier au préalable et surveiller la fonction hépatique. Bon à savoir : ces médicaments peuvent induire des troubles cognitifs, notamment de la mémoire. Quant à la lamotrigine, elle présente un risque élevé d’allergie cutanée, mais elle est utile pour traiter la dépression.
- Si les stabilisateurs d’humeur ne suffisent pas, les neuroleptiques peuvent être administrés pour calmer les phases maniaques, mais de façon ponctuelle. En effet, à terme, une grande partie d’entre eux induisent une prise de poids conséquente et les problèmes métaboliques associés.
- Comme nous l’avons évoqué plus haut, les antidépresseurs sont à éviter comme traitement au long cours, mais ils sont souvent ponctuellement indispensables pour sortir des phases dépressives.
Les antidépresseurs sont plutôt contre-indiqués dans la dépression bipolaire car on les soupçonne d’accélérer les rythmes de phases.
La psychoéducation thérapeutique
Quelle que soit l’option médicamenteuse choisie, elle doit s’accompagner d’un suivi médical et psychologique. Une fois le bon diagnostic posé, il y a d’abord tout un travail d’acceptation du trouble et de gestion du stress, qui doit être fait avec ces patients et patientes. Leurs proches peuvent y être associés, notamment pour leur apprendre à reconnaitre et détecter les premiers signes d’une phase. « J’invite également l’ensemble des prestataires de soins (médecins généralistes et spécialistes, psychologues, etc.) à s’impliquer dans la psychoéducation thérapeutique de cette patientèle », demande le Pr Kornreich. « Il est crucial que ces personnes adoptent des rythmes de vie très réguliers, tant au niveau du sommeil que des repas, car un simple décalage horaire suffit parfois à déclencher une phase. »
Et, bien sûr, il y a toute la question de la compliance à long terme. Ce n’est pas propre aux troubles bipolaires ; quand ils vont mieux, nombre de patients et patientes arrêtent de prendre leurs médicaments ! « Mais dans la bipolarité s’ajoute la difficulté que, sur le moment, les phases hypomanes sont plutôt (très) agréables à vivre et très fécondes sur le plan artistique, par exemple. Or, un traitement par stabilisateur d’humeur lisse, voire gomme ces phases-là, ce qui peut être mal vécu par les personnes créatives… L’enjeu est donc de leur faire prendre conscience de la balance risques-bénéfices et de les encourager, pour leur bien et celui de leurs proches, à poursuivre leur traitement. »
Objectifs d'apprentissage
La lecture de cet article vous aura familiarisé(e) avec :
· La description générale du trouble bipolaire.
· Les deux types de troubles bipolaires existants.
· Les caractéristiques orientant vers le diagnostic de la dépression bipolaire.
· Le diagnostic différentiel de la dépression bipolaire.
· Le traitement médicamenteux préférentiel de la dépression bipolaire.
· Les traitements médicamenteux de rechange.
· L’intérêt de la psychoéducation thérapeutique.