
Cancer : deux avancées belges récompensées pour leur approche personnalisée
La Fondation AstraZeneca a récompensé les laboratoires de recherche du Pr François Fuks (ULB) et du Pr Abhishek Garg (KU Leuven) pour leurs travaux pionniers. En alliant intelligence artificielle, analyses moléculaires multiomiques (ADN, ARN, protéines) et exploration épigénétique, leurs équipes tracent la voie vers des traitements anticancer plus ciblés et plus efficaces.
Tous les deux ans, la Fondation distingue deux projets scientifiques à fort impact biomédical. « Cette initiative témoigne d’un engagement clair à soutenir la recherche qui bénéficie aux patients comme à la société dans son ensemble. Les prix arrivent à un moment crucial, alors que les financements publics traditionnels s’essoufflent », souligne le Pr Jean-Luc Balligand, président du Conseil d’administration de la Fondation AstraZeneca.

L’épigénétique pour mieux cibler les tumeurs
Premier scientifique belge à avoir fondé un laboratoire exclusivement dédié à l’épigénétique, le Pr François Fuks parle volontiers de « syntaxe des gènes ». Avec son équipe du laboratoire d’épigénétique du cancer à l’ULB, il explore les mécanismes de régulation de l’expression génétique impliqués dans la survenue de plusieurs cancers. Initialement centrées sur la méthylation de l’ADN – une modification chimique naturelle influençant l’activité des gènes –, ses recherches ont permis d’identifier plus de six sous-groupes dans les cancers du sein, affinant considérablement les diagnostics.
Depuis une décennie, ses travaux se tournent vers l’ARN et son épigénétique. L’équipe a ainsi mis au jour des mécanismes expliquant pourquoi les métastases – responsables de 90 % des décès liés au cancer – apparaissent dans certains types de tumeurs et pas dans d’autres. Récemment, une percée majeure a été réalisée : « Nous savions que certains gènes étaient méthylés au niveau de l’ADN, et que d’autres subissaient des modifications au niveau de l’ARN », explique le Pr Fuks. « Mais nous avons découvert que les deux processus peuvent coexister sur une même cible, interagissant pour moduler plus finement l’expression des gènes. »
Une nouvelle étude est en cours pour tester cette hypothèse dans une approche thérapeutique. L’objectif est de combiner un inhibiteur de l’épigénétique de l’ADN avec un médicament ciblant l’épigénétique de l’ARN, afin de construire une double thérapie personnalisée. « Ce couplage pourrait ouvrir de nouvelles perspectives cliniques », avance le chercheur.

L’intelligence artificielle au service de l’immunothérapie
À la KU Leuven, le Pr Abhishek Garg dirige un laboratoire consacré au stress cellulaire et à l’immunité, où il s’attaque à l’un des défis majeurs de l’oncologie moderne : la résistance aux immunothérapies. En croisant de vastes ensembles de données multiomiques avec des profils de patients sous traitement, son équipe a conçu une plateforme dopée à l’intelligence artificielle, capable de cartographier l’environnement tumoral et d’identifier des biomarqueurs prédictifs de réponse.
« Certains patients n’ont pas de réponse immunitaire spontanée suffisante pour que l’immunothérapie fonctionne », explique le Pr Garg. « Il faut alors provoquer cet élan. » C’est ainsi qu’ils ont mis au point des approches de deuxième génération : vaccins anti-cancer, cocktails d’anticorps, combinaisons de traitements immunostimulants. Mais de nouvelles résistances sont apparues. « Nous avons découvert que certains macrophages pro-inflammatoires pouvaient freiner, voire bloquer, l’efficacité des thérapies. Il a donc fallu ajouter des agents capables de neutraliser ces cellules. »
Les premiers essais cliniques ont démarré : une immunothérapie combinée contre le cancer du rein est testée à Leuven, tandis que des vaccins ciblant le glioblastome sont à l’étude en Belgique et en Allemagne. La plateforme, après validation académique et préclinique, est désormais mise à disposition des entreprises pharmaceutiques. « Elle leur permet de mieux concevoir leurs essais : choisir les bons patients, ajuster les traitements, décider s’il faut associer un booster, et déterminer quels cancers cibler prioritairement », conclut le chercheur.