Le journal du medecin

Chefferies à vie, omerta et burn-out : autopsie d'un système en crise au CHU de Liège

CHU de Liège

Trois chefs de service mis en cause, une enquête interne accablante, et un modèle de gouvernance unique en Belgique. Le CHU de Liège traverse une crise de confiance relayée jusque dans les travées parlementaires.

Depuis janvier 2025, les révélations s'accumulent. Après un audit interne, le chef de service en neurochirurgie est licencié - une première dans l'histoire du CHU. D'autres affaires émergent : une enquête en cours en chirurgie orthopédique, et des plaintes pour harcèlement sexuel, harcèlement moral et propos racistes visant le chef du service de dermatologie. "On plonge à chaque fois un peu plus dans le sordide", dénonce la députée francophone Diana Nikolic (MR). "Ce type d'établissement hospitalier universitaire devrait être, en termes de gouvernance et d'exemplarité, au-dessus de tout soupçon."

Pour l'élue liégeoise, le problème dépasse largement ces cas individuels. Elle évoque une enquête menée dans 39 services sur 45 du CHU par le Dr Paul Massion : "Une majorité de services connaissent des problèmes : burn-outs, départs, gestion opaque des comptes, absence d'évaluation des chefs de service, et surtout, omerta." Ce terme reviendra à plusieurs reprises dans son intervention, soulignant une culture du silence et de la peur.

Les témoignages affluent, mais restent anonymes. "Depuis que je me suis prononcée publiquement, j'ai reçu énormément de messages : des gens qui n'osent pas parler par peur de représailles, ou qui ont quitté un environnement toxique et ne veulent pas y replonger." Certains médecins craignent même des sanctions de l'Ordre s'ils témoignent publiquement, révèle la députée MR.

 Une gouvernance figée : des chefs à vie, sans évaluation

Au centre de cette problématique, le statut même de chef de service : une fonction attribuée à vie, sans critère managérial, sans évaluation régulière. "Ce système verrouillé, toxique, est en contradiction totale avec tous les principes d'éthique et de bonne gouvernance", résume Diana Nikolic. Elle rappelle qu'un audit mené en 2020 au sein du service de cardiologie avait déjà tiré la sonnette d'alarme. L'organisme Cohezio avait été sollicité. "Les conclusions, connues du conseil d'administration depuis 2021, n'ont jamais été suivies d'effet." La députée insiste : "L'inaction n'était pas une option. Et pourtant, non seulement rien n'a changé, mais la situation semble s'être aggravée."

Le CHU de Liège se distingue en effet de ses homologues par un régime hérité d'un arrêté royal spécifique de 1987 régissant les hôpitaux universitaires de l'État (Gand et Liège). Ce texte, toujours en vigueur, ne fixe pas de durée de mandat pour les chefs de service, contrairement aux pratiques observées dans les autres hôpitaux universitaires belges. Cette lacune juridique a permis l'enracinement d'un système où les chefferies sont nommées sans limitation de durée, ni obligation formelle d'évaluation(1).

Ailleurs en Belgique, la règle est tout autre. À l'UCLouvain (Saint-Luc), au CHU Brugmann, au CHU Saint-Pierre comme à l'UZ Leuven, les chefs de service sont nommés pour des mandats de six ans, renouvelables une seule fois, avec évaluation obligatoire à mi-parcours et avant reconduction. Ces règles, inscrites dans leurs règlements médicaux respectifs, visent à garantir une gouvernance dynamique et une responsabilité managériale claire.

Cette singularité liégeoise, longtemps tolérée, apparaît aujourd'hui comme un facteur structurel de blocage. Elle suscite un débat de fond - et pas nouveau - sur la manière dont une institution peut se doter de garde-fous efficaces pour prévenir les dérives.

 Une réforme de gouvernance encore balbutiante

Interpellée, la ministre-présidente de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Élisabeth Degryse (Les Engagés), reconnaît la gravité des faits. "Je partage pleinement votre inquiétude, tant sur les faits dénoncés que sur le climat institutionnel plus global que ces affaires semblent refléter." Concernant le service de dermatologie, elle confirme qu'une "requête a été introduite devant le tribunal du travail pour harcèlement moral et sexuel".

L'Université de Liège a ouvert une procédure disciplinaire. Mais la commission n'a proposé qu'un simple rappel à l'ordre, une décision qui, selon la ministre, "suscite l'inquiétude des instances fédérales". Elle s'interroge sur "la rapidité et la transparence des sanctions" et envisage désormais d'imposer dans les institutions financées publiquement "un dispositif d'accueil anonyme pour les victimes, la traçabilité de toutes les démarches et une obligation de transparence sur les sanctions disciplinaires".

Des réformes ont été entamées en octobre 2023 par le conseil médical du CHU. Elles visent à renforcer l'implication des médecins statutaires dans les nominations, à clarifier les règles internes et à instaurer deux réunions obligatoires par an dans chaque service. Mais la ministre admet : "Ces efforts sont louables, mais ils ne suffisent visiblement pas."

Elle annonce vouloir convoquer rapidement la rectrice de l'ULiège et l'administrateur du CHU "afin d'envisager un support externe pour la gouvernance, la transparence financière et le climat social". Elle ajoute : "Je souhaite discuter des avancées concernant le statut à vie des chefs de service, notamment en instaurant des évaluations régulières, et envisager une limitation de mandat."

Un modèle à revoir, un débat à ouvrir

Dans les services, ce mode de gouvernance a des conséquences humaines directes. La députée Diana Nikolic évoque "des burn-out liés à une gouvernance autoritaire, des départs affectant les moyens humains et la qualité des soins". Un médecin, sous anonymat, résume : "Ce n'est pas tant une affaire de personnes que de structure : quand le pouvoir n'est jamais remis en question, les abus deviennent mécaniques."

La ministre en convient : "Plusieurs éléments semblent confirmer qu'il s'agit bien d'un problème systémique de gouvernance." Et d'ajouter : "Les statuts à vie pour les chefs de service favorisent une rigidité hiérarchique et potentiellement une impunité."

"Les autres hôpitaux universitaires fonctionnent avec des mandats renouvelables dans un cadre contrôlé", rappelle la députée. "Ce système n'existe nulle part ailleurs." Elle appelle la ministre à convoquer les autres institutions universitaires pour discuter d'une harmonisation du modèle, mais insiste : "Il faut d'abord intervenir en Fédération Wallonie-Bruxelles."

La ministre dit vouloir aussi consulter son homologue flamande pour avancer vers "un cadre harmonisé concernant la gouvernance, l'évaluation des chefs de service et l'accompagnement des médecins en formation".

L'objectif est d'autant plus important dans un contexte de pénurie où la réputation des établissements revêt une importance capitale. Les récents scandales nuisent à l'image du CHU de Liège comme employeur, au moment même où il devrait rassurer, fidéliser, recruter. Une réforme de fond n'est plus seulement une exigence morale : c'est un impératif stratégique.

Sources :

¹ Arrêté royal n° 542 du 31 mars 1987 relatif à l'organisation des hôpitaux universitaires de l'État à Gand et à Liège, disponible sur Gallilex.

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Écrit par Laurent Zanella

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