Panser l'urgence

Fin novembre, s'ouvrira la première session du nouveau certificat en chirurgie humanitaire, un projet coordonné par l'UCL, en collaboration avec l'ULB, l'ULiège et Médecins Sans Frontières. Une première en Belgique, qui entend allier l'expérience acquise sur le terrain à la mission d'enseignement des universités.
Destinée aux chirurgiens et assistants, cette formation a pour but d'offrir une approche, théorique et pratique, des différents traumatismes observables en médecine de guerre.
" Il y a des matières qui à ma connaissance, ne sont pas enseignées dans le programme de cours des médecins et qui ne sont pas non plus abordées dans le programme de la formation universitaire spécifique (la FUS), pour les chirurgiens ", explique Raymond Reding, coordinateur académique du certificat et chef de service aux Cliniques universitaires St-Luc.
Polyvalent et pluridisciplinaire, le certificat en chirurgie humanitaire est organisé suivant quatre sessions de trois jours chacune. " Concrètement, la formation est divisée en modules ", détaille son coordinateur : chirurgie de guerre, orthopédie traumatologique, chirurgie pédiatrique, abdominale, cardiovasculaire, anesthésie-réanimation, obstétrique mais aussi logistique (triage des blessés...), approche psychologique et pharmacie, balistique...
L'originalité réside dans le fait que l'enseignement au sein de chaque module bénéficie de l'expérience conjuguée de deux coordinateurs, l'un acteur de terrain et l'autre universitaire.
" Les chirurgiens belges, hyperspécialisés, ne sont pas toujours confortables quand ils sortent de leur zone d'expertise", nous explique le Dr Sebastian Spencer, directeur médical chez MSF. " Une des plus-values de ce certificat est de donner une connaissance en dehors de ce domaine d'expertise ".
Un module hands-on lab est également prévu, où les participants pourront apprendre certains gestes essentiels en salle d'autopsie : mise en place d'un drain thoracique, fixation externe d'une fracture, débridement, thoracotomie, mise en place de plâtre, réanimation...
" Evidemment, on ne se transforme pas en chirurgien de terrain comme ça. On donne ici les principes : gestion des traumatismes thoraciques, pédiatriques, dans un contexte de mission humanitaire (sécurité, gestion du stress...) ", explique le Dr Spencer.
" La formation ne remplace pas l'expérience acquise ensuite sur le terrain ", ajoute Raymond Reding. " La 'première mission', où l'on découvre tout, est un moment interpellant où l'on doit tout réapprendre. Le certificat assure un bon bagage théorique sur l'approche de chirurgie humanitaire (damage control) avant cette première mission, où l'expertise va se développer ".
Rappelant que l'opération la plus fréquente chez MSF est la césarienne, le Pr Reding embraye alors sur un autre aspect important de la médecine humanitaire, celui des soins apportés à des populations fragilisées. Un point de vue relayé par le directeur médical chez MSF. " La richesse de la chirurgie humanitaire est qu'on est confronté à un volume de pathologies traumatiques que l'on va devoir traiter en tenant compte d'un contexte particulier ", explique-t-il.
" En Belgique, la machine hospitalière fonctionne pour ainsi dire 'toute seule', les chirurgiens n'ont qu'assez peu à se soucier que tout soit là. Dans un contexte humanitaire, par contre, l'aspect logistique se fait plus important. Par exemple, il faut se préoccuper du type de matériel opératoire dont on dispose, ne pas perdre de vue le fait qu'une opération puisse être interrompue faute d'électricité... L'environnement est " simplifié " mais on en est aussi plus dépendant ", précise Sebastian Spencer.
En Belgique, ce certificat peut être utile, précise Raymond Reding. "Dans le contexte actuel, cela peut aussi être intéressant d'avoir en Belgique des chirurgiens formés au damage control et à la traumatologie lourde. D'autant plus que Maggie De Block envisage la création de centres de trauma..."
Tant le chirurgien de St-Luc que le directeur médical de MSF s'accordent sur ce point : la chirurgie humanitaire est de la " belle chirurgie ", qui va au-delà d'un domaine très spécialisé, le chirurgien se fiant à l'examen clinique - " on n'utilise pas de scanner, au mieux un échographe portatif ", explique le Dr Spencer - pour décider de la prise en charge. " C'est de la belle médecine au sens hippocratique du terme ", nous dit Raymond Reding, " ce qui peut être très inspirant pour les étudiants. "
Renseignements: Certificat international Humanitarian surgery in austere environments. www.humanitarian-surgery.be
Un dialogue enrichissant
La mise sur pied de ce certificat répond à une demande de la part de MSF. "Chez MSF, 150 chirurgiens sont disponibles pour de courtes périodes, ce qui fait que, concrètement, pour un poste de terrain, il faut compter 6 chirurgiens sur une année", explique Sebastian Spencer. La demande de chirurgiens est donc importante. " On espère avec cette formation, susciter l'envie pour certains de participer à une première mission... "
Le certificat en chirurgie humanitaire est limité à 30 participants. On trouve parmi eux des assistants en chirurgie mais aussi des chirurgiens souhaitant orienter la deuxième partie de leur carrière vers l'humanitaire ou encore, des chirurgiens qui travaillent déjà dans l'humanitaire et désirent parfaire leurs connaissances. " Les discussions promettent d'être très enrichissantes ", se réjouit Raymond Reding.
Vous avez dit damage control?
Le damage control est une notion assez récente, qui remonte à la guerre d'Irak, explique le Dr Reding.
Il évoque une analogie avec la marine de guerre. Lorsqu'un bateau a été torpillé, le premier souci des marins est d'arrêter l'incendie (équivalent de l'infection) et colmater la voie d'eau (équivalent de l'hémorragie)
" C'est exactement ce qu'on fait en damage control. On fait rapidement un contrôle de l'hémorragie, une suture grossière et on contrôle l'infection. On met ensuite le patient pour 12 à 24 heures aux soins intensifs - là on corrige activement l'hypothermie, l'acidose lactique et l'hypocoagulabilité. Ce n'est que lorsqu'il est stabilisé de la sorte que l'on peut alors pratiquer les anastomoses digestives ou autres reconstructions vasculaires nécessaires ", précise Raymond Reding.