Faut-il tout dire à son médecin ?
Sans aucun doute, mais pas plus qu’il n’en faut car la parole est un remède aux effets secondaires méconnus.
Entre le médecin et le patient, ce qui s’échange n’est jamais anodin. Ce qui se dévoile engage et crée un lien qui souvent dépasse le seul cadre du soin. On connaît parfois mieux ses patients que sa propre famille, et réciproquement car le médecin se dévoile lui aussi dans l’écoute. Lorsque ce patient est aussi un ami, cette parole acquiert une densité supplémenatire, à manipuler avec prudence.
Ces endroits insolites où l’intime se dévoile
Si le médecin reste un interlocuteur privilégié pour partager ce fatras de petits secrets que constitue l’intimité, il n’est pas le seul. Que de confidences dans les salons de coiffure, au comptoir du bistrot et sur les réseaux sociaux. Il existe un naturisme du récit, parfois à la limite de l’impudique, qui est directement proportionnel à l’accessibilité de ces interlocuteurs bienveillants et sans jugement que sont le cafetier, le coiffeur ou les amis sur Facebook. La relation médicale ne crée pas l’exclusivité de la confidence : on ne se déshabille pas le corps sur la chaise du dentiste, ni au centre de prélèvement, ni pour se faire infiltrer un canal carpien. Pourquoi dès lors se déshabiller l’âme chez chaque médecin ou thérapeute rencontrés ? Le dossier médical d’un patient doit-il être exhaustif, farci de détails et d’appréciations sans fondement, pour être de qualité ? La frontière est poreuse entre ce qui est relevant et ce qui est accessoire dans une information médicale rigoureuse, même s’il semble actuellement exister un consensus autour de son contenu : informations personnelles et démographiques du patient, historique médical, protocoles d'intervention et d'investigations techniques, diagnostics fondés, traitements prescrits, ainsi que les correspondances entre professionnels de santé.
Des limites du dossier médical
Le diable se cache dans les détails, et la révélation parfois involontaire de l’intime dans ces données objectives dérange. Un exemple ? Le protocole opératoire d’une patiente ayant bénéficié d’une hystéropexie contenait la mention d’un mégaclitoris (hypertrophie clitoridienne) qui avait impressionné le chirurgien. Cette particularité anatomique enregistrée dans son dossier hospitalier et reprise par la suite dans la quasi-totalité de ses rapports médicaux de manière automatisée, se vit depuis peu placée en ligne sur le réseau santé bruxellois, accessible à tout médecin de garde ou ayant un quelconque lien thérapeutique avec elle. Pareille information est-elle bien nécessaire, et relevante pour une bonne prise en charge ? Les fissures d’un couple, les projets de fugue d’un adolescent en rupture scolaire, une hypochondrie, une altération profonde de l’image de soi, le sont-elles advantage ? Le médecin traitant marche au bord d’un silence plein de vérités dangereuses qui ne lui appartiennent pas mais lui sont simplement confiées, déposées comme des œufs dans ses mains. Si tu ne veux pas que cela se sache, ne le dis pas car la planche ne retourne jamais à l’arbre. Ce qui a été dit, entendu, su, ne s’efface plus. La parole médicale, même prononcée avec tact, installe entre deux êtres un savoir qui ne peut plus être désappris.
« Tout dire, c’est parfois détruire et le médecin apprend avec le temps cette grammaire subtile du non-dit. »
Transparence médicale et amitié
Puis vient le jour où un ami pousse la porte. Le proche qui devient patient se confie derrière un miroir sans tain, à la fois comme compagnon de route et sujet de soin. Il confie ses failles, ses angoisses, parfois sa honte, se dépouillant des protections qu’autorise la vie sociale. Le médecin ami pénètre dans l’envers d’un décor parfois indicible qui lui renvoie une part de lui-même : son impuissance en cas d’incurabilité, sa crainte de blesser ou de se tromper, le doute qui affleure dans chaque décision thérapeutique. De surcroît le secret qu’on lui confie l’oblige et le retient. Il sait des choses qu’il ne devrait pas savoir, ou qu’il aurait préféré ignorer. La connaissance de l’intime devient ainsi parfois un fardeau. L’amitié, qui s’était construite sur l’égalité et la spontanéité, découvre soudain un déséquilibre : l’un sait, l’autre ignore. L’un observe, l’autre se livre. Le contrat tacite de tout dire pour être compris, de tout entendre pour soigner s’applique-t-il en cas d’un ami-patient ? Si l’amitié s’abrite dans le registre d'une complicité qui choisit ce qu’elle partage, la relation médicale repose sur la transparence. Comment faire coexister une extrême sincérité en se protégeant du risque de fissurer un jour l’image de l’autre ?
En outre, cette relation qui se veut singulière et protégée peut révéler involontairement les failles, ombres et faiblesses d’un conjoint qui ne souhaite sans doute nullement voir communiqués ces éléments de sa vie personnelle. Qui soigne un patient pénètre à pas feutrés dans la vie d’une famille, et celle-ci peut être compliquée. Comment préserver ce nouvel équilibre quand on se retrouvera à la table des vacances et des anniversaires? L’amitié impose une éthique parallèle quand il s’agit de soigner.
La pudeur dans le soin
Tout dire, c’est parfois détruire et le médecin apprend avec le temps cette grammaire subtile du non-dit. Certaines vérités peuvent attendre, la confiance n’a pas besoin de tout savoir. Christiane Gleize évoquait dans un court texte “la lumière crue de midi qui éclaire sans pitié les objets et les choses, sans ombre où se protéger et qui brûle les yeux.” Il faut faire sienne la pudeur dans le soin en appréciant la lumière du jour frisant aux multiples nuances, laissant aux ombres la part du doute. Toi qui me soignes quand tu me parles, s'il te plaît, fais-toi lumière du soir.
« Tout dire, c’est parfois détruire et le médecin apprend avec le temps cette grammaire subtile du non-dit. »